28 sept. 2009

NE PLUS PRÉVOIR À COUP DE TABLEURS EXCEL

Halte au chamanisme Microsoft

Résumons les principes de la prévision grâce aux tableurs excel :
1. Vous mettez dans un grand tableur les données de dernières années. Ce tableur reprend toutes les données accessibles (volume produit et vendu, chiffres d'affaires, marges à différents niveaux, rentabilité des capitaux…), ce pour chaque unité composant l'entreprise (filiales, régions, lignes de produits). Plus vous avez de détails et d'historique, plus vous êtes satisfaits.
2. Vous analysez toutes ces données grâce à toutes les techniques de modélisation en votre possession pour trouver les lois sous-jacentes qui relient ces nombres entre eux : interdépendance entre les unités, interdépendance entre les données, évolution dans le temps. Au besoin vous êtes quelques analyses de régression, et autres astuces venant de la boîte à outils des statistiques.
3. Grâce à ces lois trouvées, vous projetez la situation actuelle dans le futur à l'horizon visé (3 ans, 5 ans, 10 ans). Ceci vous donne non seulement la valeur à cet horizon, mais définit l'intervalle de confiance à 95%, c'est-à-dire qu'il y a 95% de chances que la valeur réelle soit à l'intérieur de cet intervalle. Vous jetez quand même un œil sur les résultats pour vérifier que vous n'arrivez pas à des « aberrations ». Si vous en trouvez, vous modifiez un peu les lois jusqu'à faire disparaître ces anomalies.
4. Vous faites des tests de sensibilité en faisant varier les hypothèses clés qui sous-tendent les lois appliquées. Compte-tenu de votre expérience, vous appliquez une déformation de +/- 20%, 30%, 40%. Aucune règle précise.
5. Vous savez alors non seulement quelle sera la situation la plus probable à 3, 5 ou 10 ans, mais vous aurez des scénarios l'encadrant.
Quel est le problème de cette approche ? Il peut être résumé brutalement : cette méthode est fausse et dangereuse. Fausse, car contrairement à ce qui est affirmé la situation anticipée ne correspond pas du tout à la situation la plus probable et les scénarios n'encadrent pas non plus le possible. Dangereuse car elle fait croire à la Direction qu'elle a balisé le futur.

Pourquoi est-elle fausse ?

Parce que l'on est incapable de modéliser réellement comment fonctionne la situation actuelle et de tenir compte de toutes les interdépendances. Au mieux, on aura une vision très approximative et loin de l'exactitude.
Parce que la projection de la situation actuelle vers le futur suppose que ce qui a sous-tendu l'évolution passée sera vrai dans le futur, ce qui reste à démontrer. Au mieux, il y aura de faibles déformations. Au pire, tout sera changé.
Parce que, si, dans le futur, les lois passées restaient encore valables, comme les évolutions complexes sont régies par des lois de type chaotique, les approximations sur la situation initiale et sur l'évolution des lois rendent vain l'exercice de prévision, au-delà du très court terme.
Tout ce temps passé à constituer ces fausses prévisions est autant de temps que l'on ne passe pas à observer attentivement la situation actuelle et à réfléchir vraiment sur le futur.

Pire, une fois ces tableaux remplis, quelques mois plus tard, on risque d'oublier comment on les a constitués, ainsi que toutes les erreurs et approximations qui ont été faites. Il ne restera plus que les chiffres annoncés, chiffres qui seront devenus la vision du futur.

Parfois ces chiffres se retrouvent ensuite dans les budgets des années à venir : on va évaluer la performance d'une unité ou d'un manager sur sa capacité à respecter des prévisions, alors que celles-ci sont sans valeur réelle. On entendra à l'occasion d'un comité de direction : « Tout va bien, nous sommes en avance sur nos prévisions. » Ce qui se passe dans le monde réel n'a plus finalement tellement d'importance : l'entreprise s'enferme progressivement dans la virtualité du monde qu'elle s'est construite et qu'elle a imaginé.

Arrêtons donc le plus vite possible ce mode d'approche.

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