6 nov. 2009

LE TEMPS DU POUVOIR ABSOLU EST RÉVOLU

Histoire de caverne (Saison 3 – Épisode 10)

Rebaptisées tours du futur, les piles de cabanes révolutionnaient la vie des cavernes. Grâce au réseau des tours de la parole et à la création de l'Écho du Monde, nous pouvions agir globalement des deux côtés du bout du monde.

Isabella souriait, seule assise au fond de sa cabane : elle tenait enfin sa revanche. Elle n'avait jamais pardonné à Jordana de lui avoir préféré Jacques. Elle gardait une nostalgie de ce temps béni où elle et Jordana ne se quittaient pas et avaient apporté tout ce mouvement au pays de cavernes. J & I comme on disait alors. Depuis, c'était devenu J & J, Jordana et Jacques, le couple roi de l'immobilier, celui qui possédait toutes les plus belles tours, celui dont la puissance et la richesse approchaient presque celle de Bobby, le roi de la finance.

Mais tout cela allait s'effondrer, Isabella en riait de plaisir. Elle n'avait plus qu'à laisser se propager les effets de ce qu'elle venait de faire ce matin.

Tout d'abord, en tout début de matinée, elle avait enfin pu convaincre la plupart des propriétaires des premières cabanes, celles qui avaient été construites avant les tours, de ne plus payer les traites de leurs prêts. Ils savaient que, du coup, ils allaient être mis dehors de leurs cabanes, car elles étaient la garantie de leurs prêts. Mais alors, ils seraient relogés gratuitement dans de nouvelles cabanes construites par Isabella. Celle-ci, en effet, avait acheté à bas prix les terrains que personne ne voulait, ceux sur lesquels on ne pouvait pas faire construire des tours. Puis elle y avait mis de grandes cabanes traditionnelles et vastes. Confortables, modernes et bon marché. Du coup, tout le monde allait être gagnant : eux0 car ils allaient troquer leurs anciennes cabanes contre de nouvelles flambant neuves ; elle, car tout le système de prêt allait se retourner contre ses créateurs. Les seuls perdants allaient être Bobby, Jordana, Jacques et consœurs…

Ensuite, elle avait reçu les représentants des chimpanzés. Depuis deux mois, elle leur avait expliqué qu'ils se faisaient exploiter, que plus les tours étaient hautes, plus leur pouvoir était grand. Ce à une condition : qu'ils arrêtent de se battre avec les gorilles et qu'ensemble ils lancent une grève générale. Pour cela, il avait fallu construire une association, la confédération des gorilles et des chimpanzés, la CGC. Il avait aussi fallu la doter d'un système de communication capable de rivaliser avec celui de l'Écho du Monde. Isabella avait eu l'intelligence de tirer parti de l'ouïe des chimpanzés : le système reposait non plus sur la propagation de signaux lumineux, mais sur celle de signaux sonores. Tout un réseau de chimpanzés avait été installé secrètement et jalonnait tout le parcours. Elle était consciente que ce système était moins performant que celui de l'Écho du Monde, car il était limité par les capacités intellectuelles des chimpanzés. Mais il était largement suffisant pour ce que l'on voulait en faire, et il avait l'avantage de fonctionner aussi de nuit et quelque soit la météo.

En fin de matinée, elle avait donné le go pour la grève générale. Elle commencerait exactement dans une semaine, au moment précis où les propriétaires des premières cabanes cesseraient leurs paiements. Elle n'avait plus qu'à attendre. Cette semaine allait lui sembler longue…

« C'est une vraie catastrophe, m'exclamai-je. J'ai maintenant sur les bras une cinquantaine de cabanes que je n'arrive pas à revendre. Or je dois faire face à mes engagements pris sur le bon fonctionnement des tours : dans les contrats d'assurance, il y avait explicitement une clause sur le bon travail des chimpanzés et des gorilles. Si cette grève générale continue encore, je vais être à court de billes.
- Nous, me répondit Jordana, ce n'est pas mieux. Comme tu as essayé de revendre à bas prix tes cabanes, tu as fait s'effondrer tout le marché. Et avec la grève, il y a une crise de confiance sur les tours. Nous n'arrivons plus à commercialiser nos dernières réalisations.
- Je viens d'avoir une conversation lumineuse – c'est comme cela que l'on appelait les échanges via le réseau des tours de la parole – avec Paulo, continua Jojo. Ce n'est pas mieux pour eux. Les effets de la grève sont dévastateurs. A tel point que certains commencent à regretter le temps béni des modestes cabanes…
- Je sais, repris-je. Je suis directement concerné, car c'est moi qui finance aussi le bout du bout du monde. Je ne vois pas comment nous allons éviter de négocier avec la CGC. »


Un ange passa dans la caverne – Je n'avais jamais accepté de quitter ma caverne – et nous nous regardâmes en silence. Il s'était écoulé trois mois depuis le lancement par Isabella de sa double action de déstabilisation et les résultats avaient dépassé ses espérances.

« Tu sais ce qu'ils réclament, reprit Jojo : augmentation des salaires, mise en place de congés, encadrement du prix des bananes. Et cela ne va régler ton problème de liquidité.
- Pour cela, je ne vois pas comment m'en sortir sans fabriquer une nouvelle quantité de billes.
- Mais, vu le besoin en question, cela revient à tout déstabiliser.
- Peut-être, mais je ne vois pas d'autre solution. Et puis, personne ne connait vraiment le nombre de billes en circulation. Du moins, personne à part ceux qui sont dans cette pièce, plus Johnny et Paulo. Même Christina n'est pas vraiment au courant. Donc je ne vois pas le danger.
- Tu oublie Isabella. C'est elle qui est derrière tout cela : c'est elle qui a relogé tous ceux que tu as dû exproprier ; c'est elle qui est à la tête de la CGC. Je ne parierais pas qu'elle n'a pas non plus le moyen de suivre le nombre des billes. Imagine un seul instant qu'elle le puisse et qu'elle répande la nouvelle. Si les gens n'ont plus confiance dans les billes, c'est le retour au troc et toute l'économie s'effondre.
- Très bien. Alors rencontrons-la et nous verrons bien. »


Inflation potentielle du nombre des billes, déstabilisation de l'immobilier des cabanes et des tours du futur, montée en puissance d'une association regroupant les travailleurs migrants, globalisation du monde…
Décidément, le futur des cavernes allait encore réserver de nombreuses surprises.

(Fin de la saison 3)


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