10 mars 2011

ADIEU VEAU, VACHE, COCHON, COUVÉE

Croissance et décroissance, prévision et incertitude
Dans une intervention récente sur France info(1), Michel Serres faisait une lecture originale et rafraichissante de la célèbre fable de La Fontaine, La laitière et le Pot au lait : il y expliquait que c’était une histoire de croissance et décroissance.
En effet, selon son interprétation, Perrette ne fait pas des châteaux en Espagne, elle fait un business plan en prévoyant comment elle va pouvoir développer ses affaires. C’est une métaphore de la croissance : comment passer d’un litre de lait à un élevage de poulets, puis à un troupeau de vaches et de cochons. Simplement, tout s’effondre, comme lors de la crise des subprimes.
Ceci rejoint de façon amusante une histoire que je racontais dans mon livre Neuromanagement, pour caricaturer alors les approches des start-up internet :
« Imaginez un paysan qui rencontre un financier et lui explique que la poule qu’il vient d’acheter va lui permettre dans quelques années de produire plusieurs milliers d’œufs. En effet, grâce à cette poule, il va pouvoir construire tout un élevage et, après quelques générations, se retrouver à la tête d’une vaste batterie de poules. Sérieux et crédible, il présente un business plan détaillé : au départ, plus il va avoir de poules, plus il va falloir investir, donc le déficit initial est croissant ; puis un jour pas très bien défini, mais un jour qui va arriver, il se trouvera avec une montagne d’œufs qui vont faire de lui le leader incontestable du marché. Alors le profit sera largement supérieur à toutes les pertes cumulées. À votre avis, va-t-il trouver un banquier qui va acheter aujourd’hui ces œufs hypothétiques ? Oui ? Non ? Sûrement non, naturellement…
Repensons à Internet. Là, le modèle financier s’est emballé, les anticipations ont tourné au maximum, et les projets d’achat d’une poule ont été valorisés sur la base de la valeur des milliers d’œufs futurs et hypothétiques. Dans certains cas extrêmes, on a même payé pour des projets où il n’y avait même pas encore de poule achetée, mais où on expliquait comment on allait trouver la première poule… »
Une autre lecture possible de cette fable pourrait être aussi la suivante : Perrette est tellement en train de faire des projections sur le futur qu’elle en oublie le présent et les risques immédiats. Du coup, elle trébuche sur une pierre et tout s’effondre. La fable devient alors une métaphore pour le management dans l’incertitude : à force de se perdre dans des prévisions détaillées, on ne voit plus le présent tel qu’il est et on tombe dans le premier piège venu.
Décidément les fables de la Fontaine sont inépuisables !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Voir aussi Michel Aglietta "La CRISE, les voies de sortie" à propos du paradoxe de la valorisation des actifs financiers. Premier chapitre, en un mot:
- Sur un marché ordinaire, "auto-stable", le prix peut jouer son rôle de variable d'ajustement: si la demande est trop forte, le prix monte et cette augmentation fait baisser la demande et croître l'offre. L'inverse se produit si le prix est faible.
- Dans le monde des actifs financiers, quand les prix montent, la demande augmente ! Et dans la sphère financière, pour l'essentiel l'acquisition des actifs se fait à crédit. Et plus le crédit est intense, plus les prix des actifs financiers augmentent, etc, processus qui ne peut qu'aller qu'aux extrêmes. L'instabilité est intrinsèque au capitalisme financier.
Perrette est-elle une financière ou une fermière ?