15 mai 2012

LA DÉSESPÉRANCE DES BANLIEUES EST UN DÉFI

Au-delà des risques de violence à court terme, pour le futur multiculturel, Paris est mieux placé que Shanghai (3)
Dans cette phase de mutation, la question sécuritaire n’est pas anodine…
En effet, et je ne suis pas naïf. Il faut bien évidemment mettre en place des règles de sécurité. Mais si vous mettez un système de sécurité sans l’appuyer par un discours d’optimisme, vous ne le ferez pas accepter. Le préalable est non seulement de faire prendre conscience qu’il y a crise, mais que la crise est souhaitable, au sens qu’elle est inévitable - inutile de rêver qu’elle n’existe pas - et qu’elle est positive parce qu’elle va créer un futur meilleur. Alors qu’aujourd’hui on ne parle que de l’inévitable, avec une classe politique qui, explicitement ou implicitement, génère un message totalement anxiogène qui dit que le futur est pire que le passé. Dans un tel contexte, il n’y a pas de solution au problème d’insécurité. Sauf à imaginer une militarisation qui, à un moment donné, conduit à une impasse, comme au Brésil et dans toute l’Amérique latine, et provoque des effets inverses à ceux initialement recherchés.
Il faut raisonner non en fonction de l’existant, mais de ce qui est en train d’advenir. L’avenir est à la diversité, qui impose de concevoir de nouvelles règles de "vivre ensemble". On ne pense pas le Grand Paris en référence à Lutèce, ou même à Haussmann ! Je ne conteste pas que Paris ait des racines et une histoire, mais il suffit de marcher dans les rues pour voir que la capitale est aujourd’hui multiraciale, multiculturelle, qu’elle est le lieu de la diversité. Donc la question n’est pas de savoir ce qu’il conviendrait de sauvegarder, de "protéger", mais : Vers quel Paris allons-nous ? Quelle est la mer future ? Comment y arriver le plus intelligemment possible ?
Dès lors, quel avenir entrevoir pour un Grand Paris "apaisé" ?
La nature humaine est assez stable. Je suis peut-être un terrible optimiste, mais je ne vois pas quels éléments pourraient laisser croire à un potentiel criminel intrinsèque, ni que l’homme deviendrait de plus en plus "méchant" au regard de son évolution. Mais s’il a de plus en plus faim, on peut atteindre des points de rupture importants.
En France, on a laissé se constituer des poches de concentration de populations qui, en proie à des taux de chômage de 40 % voire 50 %, explosent naturellement. La désespérance des banlieues est un vrai défi. Si on n’a pas une classe politique, au sens large du terme, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui ont la charge de la cité, capable de projeter une vision positive du futur, je suis extrêmement inquiet, pour le coup.
Car si on laisse se propager l’idée que le problème est le multiculturel, les endroits les plus dangereux seront les endroits multiculturels ! Or les seules villes mondiales réellement multiculturelles sont Londres, Paris et New York. Donc les endroits où il y aura des guerres civiles, ce sera chez nous ! Nous sommes les premiers menacés par un certain discours rétif, presque xénophobe, à la société qui vient. A l’inverse, si nous comprenions que le futur sera riche de cette multi-culturalité, si nous n’avions plus peur de ce futur, parce que nous saurions vers quelle société nous allons et voulons aller, nous disposerions d’un atout que n’ont ni Pékin ou Shanghai, ni même Buenos Aires, par exemple. Ainsi, au-delà des risques de violence à court terme, pour le futur multiculturel, Paris est mieux placé que Shanghai !
Justement, et en guise de conclusion, quel avenir dessiner pour le Grand Paris à l’international ?
Essayons de sortir du tropisme français qui conduit à penser le monde depuis le 7e arrondissement, pour prendre encore une fois un peu de hauteur. Depuis le ciel, quand on observe la terre depuis un satellite, on distingue en Europe occidentale une zone lumineuse, parce qu’urbanisée, qui s’étend du nord de la France (Lille) jusqu’à l’Italie du Nord (Milan), en passant par la Belgique et la Hollande, la Ruhr et la vallée du Rhin, puis la Suisse en touchant un peu Lyon. C’est la "banane bleue". Ces régions sont les plus riches. Elles concentrent l’essentiel des activités productives de l’Union européenne. Or Paris n’en fait pas partie. Faut-il s’en réjouir ou s’en désoler ? Là n’est pas la question.
Il faut réfléchir aux courants de fond, en sachant que quand on lutte contre un courant de fond, le delta entre la dépense d’énergie et le résultat obtenu est énorme. Est-ce raisonnable de lutter à ce point contre l’évidence géographique, de répartition des activités autour de cette arête dorsale qui s’étend d’ailleurs jusqu’à Londres, au-delà de la Manche, mais évite toujours Paris ? En tant qu’ancien de la DATAR, je ne le crois pas. A l’échelle française, on peut jouer la carte de Lille, Strasbourg et Lyon pour exister dans cette zone, et ainsi ancrer les activités industrielles sur le territoire national. Mais, pour le coup, le projet du Grand Paris est d’une autre nature. En lien avec son caractère multiculturel, pourquoi ne pas le tourner résolument vers les activités de création et de décision ? 

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