28 nov. 2012

NATURELLEMENT, LE MEILLEUR SE DÉGRADE, LE PIRE PROGRESSE…

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (8)
Poursuivons l’analyse de notre problème avec le hasard et l’incertitude, avec les propriétés de la régression vers la moyenne.
De quoi s’agit-il ? L’idée est toute simple – comme la plupart des bonnes idées… –, mais lourde de conséquences : puisque, dans la plupart des cas, le niveau de performance est d’abord lié au hasard, et secondairement aux actions entreprises, le plus probable est que la meilleure performance se dégrade et la moins bonne s’améliore, ce sans que l’on puisse attribuer cette évolution aux acteurs en cause. La tendance naturelle est donc une convergence vers la moyenne… Dérangeant, non ?
Je laisse la parole à Daniel Kahneman,  pour une série de citations sur ce thème :
« Une mauvaise performance était suivie d'une amélioration, et une bonne d'une détérioration, sans intervention ni de félicitations, ni de réprimandes. (…) Comme nous avons tendance à être gentils avec les autres quand ils nous font plaisir et agressifs quand ils nous déplaisent, nous sommes statistiquement punis pour notre gentillesse et récompensés pour notre méchanceté. »
« Le golfeur qui a bien joué le premier jour réussira aussi sans doute le deuxième jour, mais moins que la veille, parce que la chance inhabituelle dont il a probablement bénéficié ne va manifestement pas durer. Le golfeur qui a mal joué le premier jour sera probablement en dessous de la moyenne le lendemain, mais il s'améliorera, parce que sa malchance ne durera sans doute pas. »
« Notre esprit est profondément biaisé en faveur d'explications causales et gère mal les « simples statistiques. » (…) Des explications causales seront évoquées quand une régression est détectée, mais elles seront fausses parce que la vérité, c'est que la régression vers la moyenne a une explication, mais elle n'a pas de cause. »
Appliquons ceci maintenant, comme il nous le suggère, au pilotage d’une chaîne de boutiques qui sont toutes de même taille, avec le même assortiment. Quel est alors le premier facteur explicatif d’un écart de performance ? Les aléas liés aux différences induites par ce qui s’est passé localement, tant du point de vue de la clientèle que de la concurrence, voire de la météo.
Comment construire la prévision des ventes de l’année prochaine quand on connaît les ventes de l’année en cours, et que la progression globale visée est de 10% ? Notre tendance naturelle va être de prendre comme base, pour chaque boutique, le chiffre d’affaires fait dans celle-ci cette année, et ensuite de l’augmenter de 10%. Peut-être même allons-nous augmenter davantage les boutiques qui viennent de faire la meilleure performance, pensant qu’elles ont plus de potentiel que les autres, n’est-ce pas ?
La recommandation tirée de la régression vers la moyenne et présentée par Daniel Kahneman est tout autre : comme la performance d’une boutique est d’abord liée aux aléas, il y a très peu de chances que les aléas soient les mêmes d’une année sur l’autre. Il faut donc d’abord calculer quel a été le chiffre d’affaires d’une boutique moyenne, l’augmenter ensuite des 10% visé. Ensuite pour chaque boutique, partir non pas de sa réalisation spécifique, mais de cette moyenne, en l’augmentant pour les boutiques qui ont été les plus performantes et en les diminuant pour les moins performantes. On tient ainsi compte de la qualité du management local et des données intrinsèques, mais on annule l’effet des aléas.
Par cette méthode, les boutiques qui avaient le plus progressé vont de fait avoir des progressions moins importantes, et symétriquement. Cette recommandation me semble frapper au coin du bon sens… et pourtant mon expérience me montre que ce n’est pas ce qui est fait quotidiennement dans les entreprises.
(à suivre)

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