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16 mai 2018

VIVE LES PARANOÏAQUES OPTIMISTES !

Apprendre à marcher malgré les risques
Cet enfant de neuf mois, très mature intellectuellement, est face à une décision clé : doit-il oui ou non se mettre à marcher. Aussi plutôt que de se décider à la va-vite, il mène une réflexion approfondie.
Celle-ci l’amène aux conclusions suivantes :
- Les premières semaines seront très éprouvantes : comme il ne maîtrisera pas son équilibre, il tombera sans cesse. Or tomber fait mal, il le sait, car, enfant pragmatique, il a essayé et ses fesses en gardent un souvenir cuisant.
- Ce qui le passionne le plus lui restera interdit : il lorgne depuis longtemps, c’est-à-dire neuf mois, l’installation informatique de son père, le tableau de commande de la chaîne hifi, ainsi que celui de la machine à laver le linge. Or il a vu son grand-frère se faire systématiquement rabrouer à chacune de ses tentatives. A quoi bon se lancer alors ?
- Le monde extérieur est hostile : grâce à la télévision – il l’observe discrètement – et lors de ses promenades en landau, il a vu que, dehors, il fait, tour à tour, froid ou chaud, que les rues sont encombrées de voitures qui sont autant de menaces, et que des écoles et des maîtres rébarbatifs l’attendent.
Fort de cette analyse, il prend la seule décision raisonnable, la seule qui le protège de tous ces risques : il ne marchera pas, et passera sa vie dans son landau. Rassuré, il s’enfonce doucement dans le confort de sa couette.
C’est de cet enfant qu’Amélie Nothomb parlait dans la Métaphysique des tubes : « Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par lesquelles il espère s’en sortir. Non seulement il ne s’en sort pas, mais il empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l’avouer. (…) C’est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement.» 
Cet enfant fait-il le bon choix ? Est-ce pertinent ? Évidemment non, et Dieu merci, nos enfants ne sont pas aptes à mener de telles analyses…
De même, devenus adultes, nous acceptons de traverser les rues malgré les voitures, ou simplement de sortir malgré les météorites. Pourtant les accidents arrivent, et personne ne peut affirmer que jamais une météorite ne tombera sur ce morceau de trottoir…
Il doit en être ainsi pour les entreprises : au nom de l’analyse des risques, elles ne doivent pas rester immobiles et tétanisées. Mais comme pour le nouveau-né intellectuellement surdoué, et physiquement inhibé, il m’arrive de voir des directions choisissant de ne pas se mettre à marcher. Elles se condamnent à coup sûr.
L’incertitude appelle une attitude qui, tout en ne négligeant aucun risque, notamment les cygnes noirs1, se tourne vers l’action. 
Soyons tous des paranoïaques optimistes : imaginons le pire, préparons-nous à y faire face, et agissons pour qu’il ne se produise pas ! 

(1) Voir "Le cygne noir"de Nassim Nicholas Taleb

1 févr. 2018

COMMENT FAIRE LA DIFFÉRENCE ENTRE UNE BROSSE À DENTS ET UN ÉCUREUIL ?

Faire attention plus aux actes qu’aux discours
Depuis la culture grecque, le « logos » est premier et nous avons souvent tendance à voir les actes comme seconds, comme le moment de la mise en œuvre.
Nous sommes ainsi des experts des mots : 
- Lors du Grand oral du concours d’admission à l’ENA, on juge de la capacité du candidat à « improviser » brillamment sur un sujet qu’il ne connaît pas. Le discours en lui-même et pour lui-même.
- Ouvrez un journal, écoutez ce débat ou assistez à ce congrès : le plus souvent, l’art de la dialectique y règne davantage que la connaissance et l’analyse des faits.
Or, comme le sait la culture populaire, avec les mots, on peut faire dire ce que l’on veut. Mais dans l’action, c’est plus difficile.
Ainsi comment distinguer à coup sûr une brosse à dent d’un écureuil ?
Si je me contente de rester au niveau des mots, je vais progressivement gommer les différences : les deux ont une queue, des poils, et leurs longueurs ne sont pas si éloignées…
Au bout d’un moment, vous verrez les différences s’estomper, et vous aurez du mal à savoir qui est qui.
Si, plutôt que de parler, j’agis, tout sera plus simple : mettez les deux au pied d’un arbre et regardez ce qui se passe. Personnellement, je n’ai jamais vu une brosse à dents être capable de monter !
Ou si vous préférez, lavez-vous les dents avec un écureuil : je parie qu’il ne se laissera pas faire !
Aussi un conseil : accorder plus d’importance aux actes et méfier vous des discours. Car, le meilleur moyen de savoir qui est capable de quoi, n’est pas d’écouter ce qu’il dit, mais de regarder ce qu’il fait.
Et si vous voulez savoir ce qu’untel est capable de faire, créez donc une situation concrète test, et observez comment il agit.

22 janv. 2018

FAIRE OU NE PAS FAIRE : IL N’Y A PAS D’ESSAI

A long time ago, in a galaxy far, far, away
Après une longue période de mise en sommeil de mon blog, le temps du réveil est venu : reprise d’une publication sur un rythme régulier au moins deux à trois billets par semaine.
Continuer à broder un récit aléatoire et volontairement désordonné autour de la thématique de l’incertitude. Un patchwork, une toile impressionniste, un vitrail fait d’éclats disjoints. A chacun de s’y promener, de faire les rapprochements qu’il souhaite, de laisser des commentaires pour contester, enrichir ou compléter.
Afin d’être certain que cette remise en route se passe bien, j’ai décidé de laisser la parole à Maître Yoda. Que la Force soit avec nous !
Nous sommes sur Dagobah, lors de la première rencontre entre Luke et Yoda. Luke qui est à la recherche de celui qui doit faire de lui un Jedi, vient de rencontrer un petit être petit, à l’aspect insolite, tout sauf Superman. La conversation s’engage…
YODA : T'aider, je peux. Oui, mmmm.
LUKE : Je ne pense pas. Je cherche un grand guerrier.
YODA : Ahhh ! Un grand guerrier. (il rit en secouant la tête) Les guerres, personne n’ont fait grand. »
L'entrainement de Luke commence. Succession de courses, d'épreuves diverses, toutes apparemment plus impossibles les unes que les autres. La progression est trop lente pour Luke qui supporte mal ses échecs. Notamment pas moyen de faire sortir son vaisseau, son X-Wing, du marécage dans lequel il est plongé.
LUKE : Maitre, faire bouger des pierres, c'est une chose. Là, c'est totalement différent.
YODA : Non ! Pas différent ! Seulement dans ton esprit différent. Tu dois oublier ce que appris tu as.
LUKE : Bon, je vais essayer.
YODA : Non ! N'essaie pas. Fais. Ou ne fais pas. D'essai il n'y a pas. »
Luke ferme les yeux et se concentre sur son vaisseau. Lentement, le nez du X-Wing commence à sortir de l’eau. Il plane un moment avant de retomber, disparaissant à nouveau.
LUKE : Je ne peux pas. C'est trop gros.
YODA : La taille ne compte pas. Regarde-moi. Me juger pas la taille, tu fais ? Hm? Mmmm.
(…)
LUKE : Tu veux l’impossible. Je n'arrive pas à y croire.
YODA : C'est pourquoi tu échoues.
Toute ressemblance avec des situations existantes serait évidemment fortuite. De même qu’il n’y a aucun enseignement à tirer de tout cela. 
Quoique…

10 avr. 2015

INCERTITUDE ET ART MILITAIRE

Pour une ergonomie des actions émergentes – Vidéo
Comment l'art militaire a depuis longtemps appris à accepter l'incertitude et à en tirer parti

4 mars 2014

INCERTITUDE ET ART MILITAIRE

Pour une ergonomie des actions émergentes – Vidéo 1
Comment l'art militaire a depuis longtemps appris à accepter l'incertitude et à en tirer parti

3 mars 2014

IMPORTANCE DES RÉSERVES ET « ANOREXIC MANAGEMENT »

Pour une ergonomie des actions émergentes (3)
Mais lâcher prise et ne pas agir ne sont pas suffisants. Faut-il encore que ceux qui sont sur le terrain aient les moyens d’agir et de faire face à ce qui n’a été ni prévu, ni planifié. Ceci suppose des réserves disponibles. Redonnons à nouveau la parole aux militaires. Selon le Général Vincent Desportes, sans réserves, toute bataille est perdue : « Quand un chef n’a plus de réserves, il a perdu la bataille (…) Pour affaiblir l’adversaire, le plus efficace est d’attaquer ses réserves, car ce sont la source de sa puissance ». Il complète dans son livre, Décider dans l’incertitude : « Pour Churchill, l’engagement de la réserve représente même la responsabilité majeure du chef ; cette décision prise, ce dernier ne peut plus guère influer sur l’événement : c’est dans l’utilisation et la préservation de leurs réserves que les grands chefs ont généralement fait preuve d’excellence ; après tout, une fois que la dernière réserve a été engagée, leur rôle est achevé … L’événement peut être confié au courage et aux soldats. »
Et un peu plus loin, il prolonge en interpellant les dirigeants d’entreprises : « La question des réserves financières renvoie plus largement à celle de la logistique et des principes de « flux tendus » ou du « juste à temps ». (…) On connaît les effets désastreux produits par les aléas (les grèves en particulier) sur des entreprises ayant abusé de ces principes pour diminuer leurs coûts de revient. »

On ne saurait mieux dire. Ceci rejoint ce que j’appelle le risque de l’anorexie : de plan de productivité en plan de productivité, d’une application sommaire du lean management à la recherche de la rentabilité immédiate, on rend les entreprises de plus en plus ajustées à ce que l’on croît juste, et on les rend cassantes. J’ai parfois l’impression que, comme pour les mannequins qui meublent les magazines de mode, on fait l’éloge de la maigreur excessive : il n’y a qu’un pas du lean management à l’« anorexic management » !
(extrait des Radeaux de feu)

20 févr. 2014

BROUILLARD DE LA GUERRE ET DANGER DE LA CENTRALISATION

Pour une ergonomie des actions émergentes (2)
Les chefs militaires ont depuis longtemps été confrontés à la nécessité de mener des actions en milieu incertain, aussi est-il intéressant de donner la parole aux théoriciens de l’art militaire.
Clausewitz disait en 1832 : « Il n’existe pas d’autre activité humaine qui soit si continuellement et si universellement contrainte par le hasard et que, en raison de ce dernier, la conjecture et la chance y jouent un rôle essentiel. »
Il illustrait ceci au travers d’une expression : le brouillard de la guerre. Napoléon, lui-même, avait dit : « La guerre n’est faite que d’événements fortuits ; un général devrait toujours conserver l’élément qui lui permettra d’en tirer parti. » Dans ce monde incertain, dans le brouillard généré par la multiplication des aléas, seule, une action décentralisée peut être efficace : seul, celui qui est au combat, face à la réalité des situations peut savoir quelle décision il faut prendre. C’est d’ailleurs l’attitude inverse du commandement français lors de la guerre de 1870, qui, selon le maréchal Foch, serait à l’origine de la défaite : « Un trait caractéristique notable, chez tous les chefs français était leur complète passivité qui attendait constamment l’impulsion du dehors. Les généraux français ne marchaient qu’en vertu d’ordres fermes venus d’en haut ; chacun s’attachait, pour l’exécution de ces ordres, à la lettre, et se trouvait complètement déconcerté quand survenait tout à coup une situation imprévue. »
Certains vont penser qu’il est dangereux de laisser le commandement local choisir ce qui lui apparaît le plus efficace. Mais c’est l’inverse qui est encore plus dangereux : dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace, car inadaptée et trop peu réactive. Ceci a été clairement résumé, dès 1883, par le maréchal allemand Von der Goltz : « L’initiative rencontre assez d’ennemis puissants pour qu’on ne lui en suscite pas de nouveaux : la paresse d’esprit, le laisser-aller, la routine, la peur des responsabilités, l’instinct des moutons de Panurge, le besoin d’attendre que les événements nous poussent à agir au lieu de nous faire un devoir d’agir spontanément après nous être efforcés de voir clair dans la situation. Toutes ces influences déprimantes paralysent du reste facilement notre action. Si par-dessus le marché on les favorise en rognant l’initiative, en lui coupant les ailes, elles ne tarderont pas à étouffer tout germe de vie. »
(extrait des Radeaux de feu)

19 févr. 2014

APPRENDRE ET AUTORISER LE LÂCHER-PRISE

Pour une ergonomie des actions émergentes (1)
Léon Tolstoï, dans Guerre et Paix, dresse un tableau de la campagne de Russie de Napoléon, bien éloigné de ce que j’avais retenu de mes cours d’histoire : le déroulement y est d’abord le fruit de hasards, de malentendus, de chances et malheurs. Selon lui, Napoléon se croyait, aux commandes, alors que, dans la réalité, sa Grande Armée agissait largement d’elle-même : « A la suite de ces rapports, faux par la force même des circonstances, Napoléon faisait des dispositions qui, si elles n’avaient pas déjà été prises par d’autres d’une manière plus opportune, auraient été inexécutables. Les maréchaux et les généraux, plus rapprochés que lui du champ de bataille et ne s’exposant aux balles que de temps à autre, prenaient leurs mesures sans en référer à Napoléon, dirigeaient le feu, faisaient avancer la cavalerie d’un côté et courir l’infanterie d’un autre. Mais leurs ordres n’étaient le plus souvent exécutés qu’à moitié, de travers ou pas du tout. »
Pourquoi diable certains dirigeants d’entreprises se croient-il plus forts que Napoléon et que les plus grands chefs de guerre ? Pourquoi n’admettent-ils pas que l’art du management est souvent, certes d’aller vers l’objectif que l’on s’est fixé, vers cette mer qui, à l’horizon, attire le cours du fleuve de l’entreprise, mais sans suivre des plans détaillés, des business plans ciselés, ou des tableurs Excel prétendant modéliser le futur ?
Il est temps qu’ils comprennent que, s‘ils élaborent une pensée théorique détaillée et se raidissent dans la volonté de la mettre en œuvre telle quelle, alors, puisque rien ne se passera comme prévu, la réalité de ce qui advient n’aura pas de lien avec cette théorie, et rien ne sera, de fait, piloté.
Comprenons que l’incertitude donne tout son poids et sa noblesse au rôle de ceux qui sont en première ligne. Comme l’exprime le prince André Bolkonsky, héros de Guerre et Paix : « Le rapport des forces de deux armées, reste toujours inconnu. Crois-moi : si le résultat dépendait toujours des ordres donnés par les états-majors, j’y serais resté, et j’aurais donné des ordres tout comme les autres; mais, au lieu de cela, tu le vois, j’ai l’honneur de servir avec ces messieurs, de commander un régiment, et je suis persuadé que la journée de demain dépendra plutôt de nous que d’eux ! ».
L’art du management est de faire de l’entreprise un corps vivant, réactif alliant souplesse et cohésion. Les matriochkas stratégiques, – une mer visée dans un cadre stratégique et des principes d’actions qui se traduisent par des chemins stratégiques –, autorisent le lâcher-prise, car elles apportent la direction et la stabilité qui fédèrent les initiatives et construisent dans la durée. Les actes quotidiens et concrets mettent en œuvre effectivement la stratégie, développent des produits et des services, et les amènent jusqu’aux clients.
Mais pour cela, il ne suffit pas de ces matriochkas, il faut aussi qu’un certain nombre de conditions soient réunies : de réelles marges de manœuvre pour tout un chacun, un cadre stratégique compris, vécu et partagé, la confiance en soi et en les autres.
Ceci suppose une ergonomie des actions émergentes.
(extrait des Radeaux de feu)

25 avr. 2013

LE CHAOS DES INITIATIVES APPORTE LA RÉSILIENCE DE LA STRATÉGIE

Les matriochkas stratégiques de L’Oréal (2)
Ainsi comme je l’explique dans la courte vidéo ci-dessous, L’Oréal a précisé :
- Ne pas s’intéresser à la beauté en général, mais uniquement à la beauté au travers des cheveux, de la peau et du parfum,
- Le faire en étant présent dans tous les canaux de distribution, ce au travers de marques dédiées et mondiales.
Deux principes d’actions ont aussi été affirmés :
- Le déterminisme du succès : ce qui a réussi en un lieu n’a pas de raison de ne pas réussir ailleurs,
- Le refus de l’obsolescence : ce qui a réussi un jour n’a pas de raison de ne plus réussir demain
Puis ce cadre et des actions ont été déclinées en actions stratégiques : quelles marques, avec quelles lignes de produits, avec quelles usines, dans quels modes d’organisation.
Dans ce cadre, les actions individuelles peuvent être entreprises : lancement de produits, promotion, évolution des processus de productions … Tout ceci en prenant appui sur ce qui se produit et qui est incertain.
On aboutit de la sorte à un emboîtement de matriochkas : des actions immédiates qui réalisent des produits, emboîtées dans des marques qu’elles contribuent à construire, elles-mêmes donnant naissance à l’expansion mondiale de l’entreprise dans les marchés qu’elle a choisis, ceci la rapprochant chaque jour un peu plus de sa mer, et donnant corps et réalité à sa méta-stratégie.
In fine, L’Oréal est structurellement stable dans la direction visée, et est sans cesse changeante au quotidien : le chaos des initiatives apporte la résilience globale.

24 avr. 2013

PASSER DE LA MER À L’ACTION QUOTIDIENNE

Les matriochkas stratégiques de L’Oréal (1)
Il est indispensable qu’une entreprise vise un point fixe, un « mer » située à l’horizon qui va orienter et guider les actions de tous. Mais si faire un tel choix est indispensable, c’est tout à fait insuffisant, car comment faire que celle-ci ne reste pas lettre morte, un vœu pieux issu des pensées d’un comité stratégique ?
Il ne suffit pas à L’Oréal d’affirmer qu’il vise la beauté pour réussir. Ceci est bien trop vague pour guider les actions quotidiennes. En rester là serait croire que l’on peut diriger par incantation : il ne suffit pas d’affirmer une vision ou une méta-stratégie pour que, par miracle, elle devienne réalité. Si on laisse cohabiter ce point fixe avec les aléas de la vie de tous les jours, chacun continuera à agir comme si de rien n’était, et jamais l’entreprise n’avancera vers cette mer. Elle restera à tout jamais une utopie lointaine et inaccessible.
Si les actions immédiates ne sont pas effectivement mises en œuvre en cohérence avec la méta-stratégie, si rien n’est fait pour s’en rapprocher, ne serait-ce que de quelques mètres, elle restera une vision théorique et fictive : pour qu’une méta-stratégie en soit une, encore faut-il qu’elle se concrétise dans le réel. L’entreprise ne se nourrit pas d’utopies ou d’idéaux, mais bien de chiffres d’affaires tangible !
Comment donc la relier au quotidien de l’entreprise ? Comment passer de cet objectif lointain aux actions immédiates ? Ceci va se faire par une succession d’étapes.
D’abord, préciser quelle portion de mer est visée, car une mer est par construction un territoire vaste et englobant, et elle est donc inatteignable dans sa globalité : la Seine n’atteint pas la Manche globalement, elle la rejoint entre Honfleur et Havre, et ne s’égarera jamais en direction ni du Mont Saint Michel ou ni de Dunkerque. Elle a fait son choix une fois pour toute et s’y tient. Comme la Seine, toute entreprise doit choisir quelle partie de la mer elle vise, et définir les principes des chemins d’accès, ce en assurant qu’ils sont les plus résilients possible, c’est-à-dire les moins susceptibles d’être remis en cause.
Mais une entreprise est aussi d’abord une collectivité humaine, elle n’est pas une entité froide, faite de calculs. Elle n’est ni le résultat de constructions théoriques, ni une formule dans un tableur Excel, ni modélisable dans un business-plan. Donc à côté des chemins stratégiques, il faut esquisser des principes d’action, qui vont encadrer et définir la culture de l’entreprise. Ce sont des sortes de croyances auxquelles tout le monde devra adhérer et qui fédéreront les individus. Ces principes d’action doivent être articulés et compatibles avec les chemins stratégiques. Ils définissent en quelque sorte la façon de les construire et de les parcourir.
(à suivre)

28 févr. 2013

AVOIR UNE DIRECTION GÉNÉRALE QUI DÉCIDE DE LA STRATÉGIE, CE N’EST PAS LIMITER LA LIBERTÉ… BIEN AU CONTRAIRE !

La pensée stratégique en univers incertain (8)
Donc décider la méta-stratégie et les chemins stratégiques relève de la Direction Générale, et inutile de chercher à associer beaucoup de monde autour d’elle, car ce serait une perte de temps et une dilution de l’efficacité : on ne peut pas fixer le cap en étant une multitude à réfléchir. Ceci ne veut évidemment pas dire que la Direction Générale doit être coupée de son entreprise. Surtout pas ! Elle doit être nourrie par elle, et, si possible, y avoir grandi pour la connaître de l’intérieur.
Ma conviction et mon expérience m’ont montré que ce que attendent ceux qui composent l’entreprise, ce n’est pas d’être associé à la décision de ces objectifs ultimes, mais que ces choix soient faits, qu’ils soient clairs, et que chacun sente que la Direction Générale est unie et convaincue de leur bien-fondé.
Mais alors qu’en est-il du 3ème niveau, celui des actes stratégiques, ne relève-t-il pas lui aussi de la Direction Générale ?
Non car, dans les grandes entreprises, c’est-à-dire celles qui opèrent mondialement et sont composés de filiales et divisions multiples, c’est la responsabilité des patrons d’unités : c’est à eux de réfléchir, à partir de ce qu’ils connaissent de leur division, filiale ou groupe de filiales, comment traduire la stratégie globale en stratégie locale, ce que j’appelle actes stratégiques.
Revenons une fois de plus sur le cas de L’Oréal : vu le nombre de marques et de pays, comment la Direction Générale pourrait décider de la stratégie de chaque marque ? Cela n’aurait aucun sens, serait dangereux et contre-productif. Non, son rôle est de s’assurer que chaque patron de marque ou de pays a convenablement compris la stratégie globale, puis de challenger leurs propositions pour les obliger à approfondir leurs réflexions. La Directeur Général se mue en une forme de coach stratégique qui explique, forme, soutient, conteste… et in fine, valide ou non. Alors la stratégie des marques émergera des situations réelles, venant en quelque sorte à la rencontre de la pensée théorique de la Direction Générale qui avait, elle, imaginé la stratégie globale.
Quant au 4ème niveau, c’est celui des opérations. Et ne nous trompons pas, il est riche et difficile.
Je me souviens encore de ce matin de printemps 2006 où le Directeur Général de la filiale dans laquelle je me trouvais, est venu, accompagné du Directeur marketing, me dire : « Robert, nous avons décidé de lancer un nouveau shampooing au sein de la filiale. Il doit être positionné autour de la vitalité. A vous de jouer ! »
Je ne me suis pas senti frustré de ne pas avoir participé à la décision de lancer un tel shampooing, car comment aurais-je pu apporter quoi que ce soit, moi qui n’étais qu’un chef de groupe marketing débutant.
Je ne suis pas non plus senti bridé, car il me fallait traduire cette idée en réalité : trouver la marque, la formule, le packaging, le niveau de prix, la communication… Le champ était vaste et passionnant, et j’avais quasiment carte blanche et le soutien du groupe pour le faire. Bien sûr chacun élément a été validé, chaque option a été discutée, mais c’est bien moi qui proposait.
Cette expérience reste, aujourd’hui encore, un de mes meilleurs souvenirs.
Voilà ma vision de la stratégie et de son articulation avec les opérations.

Demain, comme tous les vendredis, vous trouverez une digression à partir de photographies témoignant de voyages passés. Puis pour le mois à venir, un « Best of » car je vais d’abord respirer l’air des montagnes, puis me centrer sur l’écriture de mon prochain livre. Retour au live donc début avril au plus tard !

26 févr. 2013

LES MATRIOCHKAS DES ACTES DE L’ENTREPRISE

La pensée stratégique en univers incertain (6)
Résumons où nous en sommes :
- 1er niveau : l’entreprise a choisi la mer qu’elle vise, sa méta-stratégie, ce point fixe qui guide durablement ses efforts. Dans le cas de L’Oréal, cette méta-stratégie est la beauté.
- 2ème niveau : elle a défini les chemins qu’elle veut suivre pour atteindre cette méta-stratégie. L’Oréal a précisé qu’elle s’intéresse à la peau (cosmétique et maquillage), le parfum et les cheveux, en étant présente dans tous les canaux de distribution, ce au travers de marques mondiales, dédiées à un canal donné. Cette stratégie n’a pas vocation à évoluer, sauf événement majeur.(1)
- 3ème niveau : elle a précisé comment traduire ces chemins en actes stratégiques précis, c’est-à-dire comment transformer ces chemins théoriques en actes concrets. L’Oréal a défini la liste de ses marques, en indiquant pour chacune son positionnement, son canal, et les familles de produits qui la composent. Ce portefeuille évolue dynamiquement, ainsi que les familles de produits présentes, ce en fonction de l’avancée de l’entreprise et du contexte concurrentiel.
Reste maintenant à mettre en œuvre effectivement ces actions stratégiques, et à développer des produits jusqu’à les amener jusqu’aux clients : quelles sont les actions exactes à réaliser au cours de l’année en cours et des années suivantes en terme de fabrication, de commercialisation, de conception… Tel est le rôle du 4ème niveau.
Ainsi au sein du L’Oréal, pour chaque marque, les produits à développer et commercialiser sont précisés, par exemple : combien de shampooings, avec combien de références, et en réalisant tout ce qui est nécessaire pour que chaque shampooing soit effectivement accessible aux clients : film publicitaire, packaging, formule, prix, référencement dans la distribution… Ce quatrième niveau est sans cesse remis en cause et adapté : les produits existants sont revisités pour s’assurer que leur positionnement reste valable, les films publicitaires sont modernisés, des promotions et des animations ont lieu… En parallèle, sont mis en place les processus industriels assurant l’élaboration des produits au meilleur coût.
On a donc de la sorte un emboîtement en poupées russes, une fois de plus des matriochkas : des actions immédiates qui réalisent des produits, emboîtées dans des marques qu’elles contribuent à construire, elles-mêmes donnant naissance à l’expansion mondiale de l’entreprise dans les marchés qu’elle a choisis, ceci la rapprochant chaque jour un peu plus de sa mer, et donnant corps et réalité à sa méta-stratégie.
Telle est ma réponse à comment articuler stratégie et actions quotidiennes. Cette réponse étant donnée, je vais pouvoir revenir au rôle du dirigeant, et de ce sur quoi doit porter sa décision.
(à suivre)
(1) Une inflexion a été donnée à partir des années 80, avec l’adjonction de la notion de marque ombrelle qui, au sein d’une marque, regroupe une famille de produits. Ainsi les produits coiffants de la marque L’Oréal sont tous fédérés sous la marque ombrelle Studio Line, les shampooings sous celle d’Elsève. Ceci permet de consolider les investissements publicitaires, et assurer une stabilité de la marque ombrelle, alors que les produits qui la composent changent rapidement.

25 févr. 2013

LES ACTES STRATÉGIQUES DESSINENT LES CHEMINS QUI VONT À LA MER

La pensée stratégique en univers incertain (5)
En reprenant l’exemple de L’Oréal là où je l’avais laissé dans mon dernier article, voilà donc l’entreprise dotée non plus seulement d’une méta-stratégie, cette mer qu’elle vise, mais d’une stratégie qui précise les familles de produits auxquelles elle s’intéresse, et la volonté de disposer d’un portefeuille de marques mondiales couvrant tous les circuits de distribution, et spécialisées dans un circuit donné.
On arrive alors au troisième niveau, celui des actes stratégiques, ceux qui vont effectivement chercher à rendre concrète la stratégie : quelles sont les marques que L’Oréal veut lancer et entretenir ? Pour chacune, quels sont sa promesse, son circuit de distribution, et la famille de produits qu’elle recouvre ?
Autant les deux premiers niveaux sont extrêmement stables, autant ce troisième est dynamique et évolutif :
- Le positionnement d’une marque est figé dans ses grandes lignes, notamment quant au circuit de distribution et au niveau de prix, mais il évolue dynamiquement en fonction de la situation concurrentielle, ainsi que des autres marques se développant au sein du groupe L’Oréal. Ainsi, l’acquisition d’une nouvelle marque peut amener à lui rattacher une marque existante, comme cela a été le cas avec Gemey suite à l’acquisition de Maybelline.
- Les familles de produits inclus dans une marque sont susceptibles de changer, essentiellement par ajout : ainsi la marque L’Oréal comprend une ligne cosmétique seulement depuis le début des années 80, et une ligne de gels coiffants depuis le milieu des années 80.
- Au sein d’une famille de produits, les produits effectivement présents changent beaucoup plus fortement : par exemple les produits coiffants de L’Oréal sont regroupés sous la marque ombrelle Studio Line, et sont en perpétuelle évolution.
Mais avec cette dernière remarque, on passe au quatrième niveau, celui qui ne relève plus de la stratégie, mais de la mise en œuvre de celle-ci : une fois décidé le lancement ou l’élargissement d’une marque, comment faire en sorte que tel ou tel produit soit effectivement accessible au client, et ce dans les meilleures conditions concurrentielles ?
(à suivre)

29 janv. 2013

POURQUOI L’ART DU MANAGEMENT SERAIT-IL PLUS FORT QUE L’ART DE LA GUERRE ?

Il y a un découplage de fait entre pensée théorique et action sur le terrain
Léon Tolstoï, dans Guerre et Paix, dresse un tableau de la campagne de Russie de Napoléon, bien loin de ce que j’avais retenu de mes cours d’histoire. Le déroulement est d’abord le fruit de hasards, de malentendus, de chances et malheurs. Napoléon se croyait, selon lui, aux commandes, alors que, dans la réalité, sa Grande Armée agissait d’elle-même : « A la suite de ces rapports, faux par la force même des circonstances, Napoléon faisait des dispositions qui, si elles n’avaient pas déjà été prises par d’autres d’une manière plus opportune, auraient été inexécutables. Les maréchaux et les généraux, plus rapprochés que lui du champ de bataille et ne s’exposant aux balles que de temps à autre, prenaient leurs mesures sans en référer à Napoléon, dirigeaient le feu, faisaient avancer la cavalerie d’un côté et courir l’infanterie d’un autre. Mais leurs ordres n’étaient le plus souvent exécutés qu’à moitié, de travers ou pas du tout. »
Ce découplage entre la réalité du terrain et la théorie pensée dans les états-majors, est d’ailleurs ce qui fait choisir au prince André Bolkonsky le champ de bataille : « Le rapport de forces de deux armées reste toujours inconnu. Crois-moi : si le résultat dépendait toujours des ordres donnés par les états-majors, j’y serais resté, et j’aurais donné des ordres comme les autres. » 
Pourquoi diable le management d’entreprises se croit-il trop souvent plus fort que Napoléon et que les plus grands chefs de guerre ? Pourquoi n’admet-il pas que l’art du management est souvent, certes d’aller vers l’objectif que l’on s’est fixé, vers cette mer qui, à l’horizon, attire le cours du fleuve de l’entreprise, mais non pas à partir de plans détaillés, de business plans ciselés, de tableurs excel prétendant modéliser le futur ?
Il est temps d’admettre qu’il y a nécessairement un découplage entre la pensée théorique et la volonté d’une Direction Générale, et la réalité de ce qui advient et l’action de tous ceux qui composent l’entreprise.
Aussi l’art du management est comme l’art militaire de savoir réellement tirer parti de l’énergie locale, et de la compréhension dynamique et décentralisée, c’est-à-dire de faire de l’entreprise un corps vivant, réactif et alliant souplesse et cohésion. Et comprenons comme le prince André Bolkonsky, que c’est cette incertitude qui donne tout son poids et son intérêt à ceux qui sont en première ligne !

28 janv. 2013

L’ÉCOLE DE GUERRE, L’ÉCOLE EN POINTE SUR L’ACTION DANS L’INCERTITUDE

Du gruyère de la participation à l’anorexie managériale
Le 21 janvier, j’ai assisté à une intervention du général Vincent Desportes à l’occasion d’une conférence organisée par l’École de Paris du Management. Occasion de poursuivre mes échanges avec lui, échanges commencés il y a maintenant environ une année, lors d’une intervention conjointe pour une conférence sur l’action dans l’incertitude auprès du Medef bordelais. Confirmation que, décidément, le management des entreprises a beaucoup à apprendre du management des armées.
En effet comme je l’ai déjà souligné, les militaires ont depuis longtemps accepté l’incertitude et développé des approches très pertinentes pour faire face au « brouillard de la guerre ».
Voilà ainsi ce général qui affirme que « l’homme est le plus adapté à l’incertitude », car lui seul peut travailler dans le flou, que « le vivant est chaotique par essence », et que donc, il ne faut pas tout prescrire, tout définir.
En écho à ses propos, me revient ce que, du temps de Bossard Consultants, ce cabinet où je me trouvais il y a maintenant plus de quinze ans et malheureusement disparu, nous appelions, le « gruyère de la participation » : si tout est défini, personne ne peut s’engager, et exprimer son potentiel. Ce sont les trous laissés qui permettent à tout un chacun, de s’investir et d’ajuster le cadre général à la situation concrète, locale et circonstancielle.
Vincent Desportes parle lui de « bulle de liberté d’action », mais c’est manifestement exactement la même idée. Il insiste aussi sur l’importance des réserves : « Quand un chef n’a plus de réserves, il a perdu la bataille », et « pour affaiblir l’adversaire, le plus efficace est d’attaquer ses réserves, car ce sont la source de sa puissance ».
Dans le bandeau de mon livre, Les mers de l’incertitude, j’écrivais : « Une entreprise anorexique ne peut pas faire face aux aléas ». Anorexie, volonté d’avoir des organisations le plus « lean » possible, c’est-à-dire sans réserves disponibles, telle est bien une de nos maladies modernes, et un des effets potentiellement dévastateur de la financiarisation du monde des entreprises.
Va-t-il falloir faire passer tous les dirigeants d’entreprises par l’École de Guerre pour que la relation à l’incertitude soit comprise et acceptée ?

8 févr. 2012

CONSTUIRE UN PLAN D’ACTIONS RÉSILIENT

Sortir de l’œil du cyclone… et ne pas y retourner ! (4)
Le projet a connu une crise majeure, mais maintenant le bon diagnostic a été posé et les réelles origines du décalage ont été trouvées. Il « ne reste plus » qu’à bâtir le nouveau plan d’actions pour remettre le projet sur de bons rails…
Comment alors non seulement traiter les problèmes identifiés, mais le faire le plus efficacement possible et rendre le projet plus résistant aux aléas futurs ?
D’abord l’efficacité a à voir avec la facilité : plus le plan d’action s’inscrira dans le jeu « naturel » des forces en place, plus il « coulera de source », et plus rapide sera sa mise en œuvre. Sur ce thème, je conseille notamment la lecture de l’excellent livre court et concis de François Jullien, Conférence sur l’efficacité, livre dont je me suis fait déjà l’écho dans un article il y a maintenant plus de deux ans, sous le titre « ».
Deuxième remarque portant cette fois à la fois sur l’efficacité et sur la résistance aux aléas futurs,  et donc à la résilience du projet, attention à ne pas dimensionner trop juste les ressources, car alors l’anorexie guettera le projet : à la moindre variation, il « cassera », car il sera trop ajusté à la vision initiale que l’on avait. Sur ce thème, voir « Mettre du flou dans l’organisation » et « Des optimisations répétées peuvent rendre l’entreprise cassante ».
Enfin, pour améliorer la résilience, il faut chercher à identifier les « cygnes noirs », ces phénomènes apparemment improbables mais hautement disruptifs, et avoir préparé des systèmes de vigie et des plans d’actions d’urgence (voir « Seuls les paranoïaques y arriveront » et « Prévisions et cygnes noirs »)
Et ensuite, rester au plus près du réel et se méfier des tableaux de bord et du biais qu’ils peuvent induire !

22 nov. 2011

LES PRÉVISIONS NE SONT PAS MAGIQUES

Dire n’est pas agir
Dire que quelque chose risque d’advenir ne le rend pas certain, car, sauf exception, les prédictions ne sont pas auto-réalisatrices.
Les marchés financiers sont un des rares contre-exemples, et la parole y semble magique. Pourquoi ? Sans être un spécialiste de ces marchés, je crois que l’absence totale de repères réels et l’incapacité de fait à ne serait-ce que comprendre ce qui est en train de se passer, fait que tout affirmation portée par quelqu’un identifié comme un « expert » ou une « autorité » fait force de loi. Quand on ne sait pas pourquoi une évolution a lieu, suivre le mouton qui bêle le plus fort est tentant…
Mais habituellement, dans la vie des entreprises, anticiper un risque potentiel ne modifie pas sa probabilité d’occurrence. Cela permet simplement deux choses essentielles : pouvoir identifier ce qui peut diminuer cette probabilité, se préparer à y faire face s’il advient.
Malheureusement, souvent, la première action est illusoire, ou du moins, il est impossible d’en mesurer les effets précis, car, vu la complexité de notre monde actuel, il est extrêmement difficile de simuler les conséquences de toute action individuelle, fusse-t-elle conduite par une grande entreprise. Mais cela ne doit pas empêcher d’agir. Simplement attention à ne pas surestimer l’impact de ce que l’on entreprend, et se croire du coup prémuni face à ce risque.
Reste donc à s’y préparer. C’est dans le calme que l’on se prépare à mieux faire face aux tempêtes éventuelles.
Attention toutefois à ne pas mettre toute son énergie à être prêt au pire. Comme je l’indiquais hier dans "Soyons des paranoïaques optimistes", il faut savoir se mettre à marcher !

21 nov. 2011

SOYONS DES PARANOÏAQUES OPTIMISTES

Apprendre marcher malgré les risques
Imaginez un enfant de neuf mois qui, très mature intellectuellement, a compris qu’il est face à une décision clé pour lui : doit-il oui ou non se mettre à marcher. Aussi plutôt que de se décider à la va-vite, il mène une réflexion approfondie.
Celle-ci l’amène aux conclusions suivantes :
-        Les premières semaines seront très éprouvantes : comme il ne maîtrisera pas son équilibre, il tombera sans cesse. Or tomber fait mal, il le sait, car, enfant pragmatique, il a essayé et ses fesses en gardent un souvenir cuisant.
-        Ce qui le passionne le plus lui restera interdit : il lorgne depuis longtemps, c’est-à-dire neuf mois, l’installation informatique de son père, le tableau de commande de la chaîne hifi, ainsi que celui de la machine à laver le linge. Or il a vu son grand-frère se faire systématiquement rabrouer à chacune de ses tentatives. A quoi bon se lancer alors ?
-        Le monde extérieur est un monde hostile : grâce à la télévision qu’il observe constamment et à ses promenades en landau, il a vu que, dehors, il fait, tour à tour, froid ou chaud, que les rues sont encombrées de voitures qui sont autant de menaces, et que des écoles et des maîtres rébarbatifs l’attendent.
Fort de cette analyse, il prend la seule décision raisonnable, la seule qui le protège de tous ces risques : il ne marchera pas, et passera sa vie dans son landau. Rassuré, il s’enfonce doucement dans le confort de sa couette.
C’est de cet enfant qu’Amélie Nothomb parlait dans la Métaphysique des tubes : « Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par lesquelles il espère s’en sortir. Non seulement il ne s’en sort pas, mais il empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l’avouer. (…) C’est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement. »
Cet enfant fait-il le bon choix ? Est-ce pertinent ? Évidemment non, et Dieu merci, nos enfants ne sont pas aptes à mener de telles analyses…
De même, devenus adultes, nous acceptons de traverser les rues malgré les voitures, ou simplement de sortir malgré les météorites. Pourtant les accidents arrivent, et personne ne peut affirmer que jamais une météorite ne tombera sur ce morceau de trottoir…
Il doit en être ainsi pour les entreprises : au nom de l’analyse des risques, elles ne doivent pas rester immobiles et tétanisées. Mais comme pour le nouveau-né intellectuellement surdoué, et physiquement inhibé, il m’arrive de voir des directions choisissant de ne pas se mettre à marcher. Elles se condamnent à coup sûr.
L’incertitude appelle une attitude qui, tout en ne négligeant aucun risque, notamment les cygnes noirs1, se tourne vers l’action. Soyons tous des paranoïaques optimistes : imaginons le pire, préparons-nous à y faire face, et agissons pour qu’il ne produise pas ! C’est ce que j’exprimais déjà dans ma vidéo au moment du lancement de mon livre les Mers de l’incertitude (cf. ci-dessous).



6 avr. 2011

AGIR POUR SE FONDRE DANS LE PAYSAGE

Tant d’efforts pour rien ?
Comment donc obtenir une ligne horizontale avec des pierres de largeur variable ? Pendant longtemps, j’ai buté sur cette difficulté. Je montais de plus en rapidement mes murs, j’arrivais à utiliser sans problème toutes les pierres quelles qu’elles soient, ils commençaient à s’intégrer dans le paysage, mais leur sommet dessinait une ligne aléatoire, fonction de la taille des dernières pierres…
La solution m’est venue brutalement, comme une évidence. En regardant une fois de plus un mur existant, je vis se dessiner, sous la dernière rangée de pierres, la ligne heurtée de leur base : si la ligne du sommet était presque parfaitement horizontale, c’était parce que l’avant-dernière rangée de pierres ne l’était pas ! Il fallait choisir l’avant-dernière pierre, voire les deux avant-dernières, en fonction de la largeur de la dernière.

Je me mis alors à construire mes murs en deux temps : d’abord la partie faite avec des pierres plates, mais sans la terminer ; puis la fin avec les pierres posées sur la tranche, en ajustant par le dessous pour compenser les écarts d’épaisseur.
Depuis lors, mes murs se fondent dans le paysage. Au fil des années, j’en ai reconstruit ou construit des centaines de mètres, et il est impossible de savoir lesquels.
Étrange activité paradoxale : le but de ce lent et laborieux travail est de disparaître, de ne surtout pas être remarqué. Un mur réussi est un mur qui semble ne pas avoir été touché ou créé. L’inverse de ces actions que nous menons souvent dans les entreprises : nous cherchons du rapide et du spectaculaire.
Mais la performance dans une entreprise n’est-elle pas souvent, à l’instar des murs en pierres sèches, dans la reprise de savoir-faire anciens et oubliés, dans le dépassement de l’apparente évidence de la simplicité et dans la capacité à se fondre dans le paysage tout en le structurant ?
(à suivre)