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17 avr. 2014

LE DANGER DE L'EXPERTISE

Ne pas s’enfermer dans ses convictions issues du passé - Vidéo
Plus une entreprise a prospéré et est peuplée d'experts, plus elle risque de ne lire l'évolution du monde qu'au travers du prisme de son expérience et de son passé. Elle pousse le talent de l'inférence au maximum, et sait ou est persuadé de savoir.

17 déc. 2013

ON NE VOIT QUE CE QUE L’ON IMAGINE, JAMAIS CE QUI EST

L’individu humain : le futur anticipé (4)
Dixième commentaire sur l’entreprise : Force et danger de l’expertise
« Passant par la Chine, j’y trouve là un point d’écart, ou de recul, pour remettre en perspective la pensée qui est la nôtre, en Europe. Car, vous le savez, une des choses les plus difficiles à faire, dans la vie, est de prendre du recul dans son esprit. » (1)
Une entreprise est peuplée d’hommes et de femmes qui analysent les situations au prisme de leur expérience passée. L’entreprise, elle-même, en tant qu’entité collective, a aussi sédimenté des convictions et des croyances, toutes issues de ce qu’elle a vécu. Ces convictions et croyances se retrouvent à la fois dans la culture interne et dans les systèmes qui la structurent.
Plus les personnes qui la composent sont expérimentées et ont réussi dans le passé, plus le poids des métarègles historiques individuelles sera grand. Plus l’entreprise a une histoire longue et a rencontré le succès, plus les convictions et les croyances collectives seront fortes.
C’est l’existence de cet ensemble de métarègles individuelles et collectives qui permettent à l’entreprise d’avancer de plus en plus vite, à condition qu’elle ne change constamment ni de métier, ni de stratégie. C’est de la combinaison de la stabilité et de cet apprentissage que naît l’efficacité.
Mais attention : plus une entreprise a prospéré et est peuplée d’experts, plus elle risque de ne lire l’évolution du monde qu’au travers du prisme de son expérience et de son passé. Elle pousse le talent de l’inférence au maximum, et sait ou est persuadé de savoir.
Elle devient alors vulnérable aux recompositions du monde, et fragile par rapport aux ruptures qu’elle ne verra pas venir, ou pire, qu’elle niera. Forte de ses certitudes, elle refusera ce qui n’est pas en ligne avec sa vision.
La performance est donc dans le juste équilibre entre la stabilité qui permet le renfort des expertises, et le recul par rapport à elles pour savoir que l’on ne sait pas, et ne pas oublier que l’on ne voit que ce que l’on imagine, et jamais ce qui est.
(1) François Jullien, Conférence sur l'efficacité́, p.14
(extrait des Radeaux de feu)



4 janv. 2013

AGIR DANS L'INCERTITUDE

Diriger en lâchant prise (BEST OF - paru les 30 et 31 octobre, 5 et 6 novembre 2012)
Vent, tigre et incertitude
Au cœur de la jungle, survient un bruit dans les feuilles. Un de nos lointains ancêtres pense que c’est un tigre et grimpe au sommet de l’arbre voisin. De là, il constate que ce n’était que l’effet du vent : il sourit de son erreur, et en est pour une belle peur… mais, s’il avait pris le bruit d’un tigre pour celui du vent, ni vous, ni moi ne serions là.
Assis à votre bureau, vous êtes entouré de bruits : le journal parle d’une reprise qui n’arrive pas, le chiffre d’affaires n’atteint pas ce qui avait été prévu, le lancement du nouveau produit a pris trois mois de retard, ce que prépare le concurrent reste inconnu… Mu par des pulsions venues de la jungle, certain qu’il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous stoppez les investissements, renforcez les contrôles et déclenchez un plan de survie.
Ah, si seulement le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, avec la liste des ingrédients et le bon mode opératoire, il serait facile d’obtenir le résultat conforme à la photographie affichée !
Pourtant, l’incertitude est-elle une si mauvaise nouvelle ? Imaginez un monde prévisible : quelle y serait la place laissée à l’intelligence, au professionnalisme et à la créativité ? Comment une entreprise pourrait-elle s’y différencier des autres, et créer de la valeur, puisque progressivement, toutes feraient progressivement la même chose ? Et à quoi bon avoir une équipe de direction quand un programme informatique suffirait…

Penser à partir du futur : chercher la mer qui attire le cours du fleuve
Depuis le pont Mirabeau, essayez donc de savoir où va la Seine. Difficile de trouver la bonne réponse non ? Aussi, descendez et suivez son cours. Rapidement puisqu’au gré de ses méandres, elle va sans cesse de droite à gauche, vous conclurez qu’elle ne sait pas où elle va.
Pourtant, quoi qu’il arrive, la Seine va bien toujours au même endroit !
Dès lors, comment faire pour voir où elle se dirige ?
Prenez plutôt le temps de comprendre qu’elle est un fleuve, ne regardez pas ce qu’elle fait, et cherchez la mer, ce futur qui l’attire.
Quand un dirigeant construit sa stratégie à partir de l’observation de ce qui s’est passé et se passe, il tombe dans la même  erreur : il veut deviner où va la Seine depuis le pont Mirabeau.
Voilà un des grands paradoxes du monde de l’incertitude : il faut réfléchir à partir du futur, et non pas à partir du présent.
Elle est donc le meilleur garant de la performance future… à condition de ne pas céder à nos peurs ancestrales, et à ne pas lutter contre elle : apprenons à agir dans l’incertitude et à diriger en lâchant prise. Certes, mais comment ?

Trois tentations à éviter
1. L’expertise : Toute expertise conduit implicitement à construire une vision du monde fondée sur le passé. Difficile avec les yeux de l’expert, de repérer ce qui est nouveau et en rupture. Il ne s’agit pas de se priver de l’expertise, mais de veiller à la mobiliser non pas a priori, mais a posteriori.
2. La mathématisation : La réponse à la montée de l’incertitude n’est pas dans la sophistication des modèles et dans la multiplication des tableurs excel. Il n’est pas non plus pertinent de croire que l’on va pouvoir appliquer des règles de trois sur les comportements humains : ce n’est pas en multipliant par deux la taille d’une équipe qu’elle ira deux fois plus vite… La complexité doit être acceptée.
3. L’anorexie : La recherche de la productivité à tout prix conduit à ajuster l’entreprise à la vision que l’on a actuellement de la situation. On la rend ainsi cassante, et incapable de faire face aux aléas. Il faut préserver une part de flou, c’est-à-dire de ressources non affectées et disponibles.

Trois modes d'action à privilégier
1. Rechercher la facilité : Nous sommes naturellement poussés à faire l’éloge de la sueur et de la difficulté. Mais parce qu’on ne peut pas lutter longtemps contre le cours des choses, et que le pire ne peut jamais être exclus, si l’on n’agit pas initialement dans la facilité, c’est-à-dire en s’appuyant sur ce que l’on sait faire, on n’ira pas au bout du marathon.
2. Ajuster la vitesse à ce que l’on fait : S’il suffisait de courir pour être efficace, comme chacun se précipite de partout, toutes les entreprises le seraient ! Ainsi que l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber, « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau ». Que faire ? Adapter son rythme à ce que l’on fait, et ne pas oublier que l’on ne peut pas penser vite à long terme.
3. Être un paranoïaque optimiste : Dans le monde de l’incertitude, il est impossible de probabiliser le futur. Ce qu’il faut, c’est identifier les scénarios les plus dangereux par leurs conséquences (1), s’y préparer, et faire tout pour qu’ils ne se produisent pas.

(1) Voir Le Cygne Noir de Nassim Taleb

3 déc. 2012

AU MOMENT DE SA PROCRÉATION, HITLER AVAIT UNE CHANCE SUR DEUX D’ÊTRE UNE FEMME

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (10)
Poursuite de notre promenade au sein de notre deuxième travers, la reconstruction du passé, et son frère jumeau, l’illusion de la validité.
Inutile de faire de longues études d’histoire, pour être convaincu que le XXème siècle a été profondément marqué par trois personnages clés, Hitler, Staline et Mao, et que, sans eux, il aurait été profondément différent. Et pourtant comme le note malicieusement Daniel Kahneman, « il y a eu un moment dans le temps, juste avant qu'un ovule soit fécondé, où il y a eu 50 % de chances que l'embryon qui allait devenir Hitler soit femelle. (…) La fécondation de ces trois ovules a eu des conséquences gigantesques, et l'idée que les développements à long terme sont prévisibles est donc risible. »
Malgré cette dimension largement imprévisible de l’histoire, bon nombre de spécialistes sont d’abord ceux du rétropédalage, c’est-à-dire de l’explication a posteriori du caractère inévitable et irrésistible de telle ou telle évolution…
Plus un expert pense qu’il l’est, et plus il est susceptible de tomber dans ce piège :
« Les experts sont induits en erreur non par ce qu'ils croient, mais par ce qu'ils pensent, dit Tetlock, qui reprend la terminologie d'Isaiah Berlin dans son essai sur Tolstoï, Le Hérisson et le Renard. Les hérissons connaissent « une grande chose » et ont une théorie sur le monde ; ils expliquent des événements particuliers dans un cadre cohérent, fulminent d'impatience envers ceux qui ne pensent pas comme eux, et sont sûrs de leurs prévisions. (…) Elle a une théorie qui explique tout, et cela lui donne l'illusion qu'elle comprend le monde. (…) La question n'est pas de savoir si ces experts sont bien formés. Elle est plutôt de savoir si le monde est prévisible. »
C’est dans le même esprit que j’écrivais dans Les Mers de l’incertitude :
« Il faut s’être mis en situation de pouvoir tirer parti de l’incertitude. L’attitude quotidienne, les formations reçues tant dans les écoles d’ingénieurs que commerciales ou économiques, et la peur du vide nous amènent trop souvent à chercher des certitudes, à partir de notre expertise pour lire une situation, à nous méfier de notre intuition, à mathématiser les situations (…) Ceci va souvent de pair avec le développement d’une forme d’arrogance issue de succès répétés et de la sensation d’être invulnérable. Au stade extrême, l’entreprise et ses collaborateurs vont devenirs « autistes » : forts de leur expérience, ils savent ce que veulent les clients, comment va évoluer le marché, quels sont les risques technologiques… Finalement, pourquoi aller à la rencontre des clients, des concurrents, des fournisseurs, si ce n’est pour leur expliquer ce qui va se passer ? Stade extrême, mais malheureusement existant. A l’opposé, pensez au « regard d’un enfant » : il est totalement ouvert au monde, son regard est neuf. L’objectif est d’allier la fraîcheur de ce regard avec l’expertise qui va, a posteriori, nous permettre de comprendre ce que l’on a observé et découvert. »
Ne faut-il donc jamais confiance aux experts ? Non, bien sûr, mais il faut s’être assuré que leur expertise est réelle et adaptée à la situation présente. Je redonne la parole à Daniel Kahneman :
« Quand les jugements sont-ils le reflet d'une authentique expertise ? Quand trahissent-ils une illusion de validité ? La réponse tient aux deux conditions fondamentales à l'acquisition d'une compétence : un environnement suffisamment régulier pour être prévisible ; la possibilité d'apprendre ces régularités grâce à une pratique durable. (…)Si l'environnement est assez régulier et si le juge a eu la possibilité d'apprendre ces régularités, la machine associative reconnaîtra les situations et produira des prédictions et des décisions rapides et exactes. Si ces conditions sont remplies, vous pouvez avoir confiance dans les intuitions de quelqu'un. »
Mais ces situations ne se rencontrent pas si souvent. Aussi s’il ne faut pas leur reprocher leur incapacité à livrer à des prévisions exactes dans un monde imprévisible, « il semble avisé de reprocher aux experts de croire qu'ils peuvent réussir dans une tâche impossible. »
Mais nos erreurs constantes, notre incapacité à réellement de prévoir le futur sont le moteur de notre société…
(à suivre)

5 nov. 2012

TROIS TENTATIONS À ÉVITER

Agir dans l’incertitude : Diriger en lâchant prise? (3)
1. L’expertise : Toute expertise conduit implicitement à construire une vision du monde fondée sur le passé. Difficile avec les yeux de l’expert, de repérer ce qui est nouveau et en rupture. Il ne s’agit pas de se priver de l’expertise, mais de veiller à la mobiliser non pas a priori, mais a posteriori.
2. La mathématisation : La réponse à la montée de l’incertitude n’est pas dans la sophistication des modèles et dans la multiplication des tableurs excel. Il n’est pas non plus pertinent de croire que l’on va pouvoir appliquer des règles de trois sur les comportements humains : ce n’est pas en multipliant par deux la taille d’une équipe qu’elle ira deux fois plus vite… La complexité doit être acceptée.
3. L’anorexie : La recherche de la productivité à tout prix conduit à ajuster l’entreprise à la vision que l’on a actuellement de la situation. On la rend ainsi cassante, et incapable de faire face aux aléas. Il faut préserver une part de flou, c’est-à-dire de ressources non affectées et disponibles.
(à suivre)

9 oct. 2012

HARO SUR LES « ON VOIT BIEN », « ON SAIT BIEN » ET « IL EST ÉVIDENT QUE »

N’acceptons plus les raisonnements qui n’en sont pas
Il suffit d’ouvrir la radio ou la télévision pour tomber sur un « expert » qui, à l’appui de son raisonnement, nous assène des « on voit bien », des « on sait bien » ou encore des « il est évident que ».
Or si vous prêtez bien attention à son propos, au moment où il emploie l’une de ces expressions magiques, précisément ni on ne voit bien, ni on ne sait bien, et rien n’est évident.
Cela me rappelle mes copies de mathématiques de jeunesse, où, quand je n’arrivais pas à boucler complètement un raisonnement, je glissais un « donc » là où je pensais que devait se faire la jonction. Le plus souvent cela marchait, j’avais le maximum des points. Le correcteur emporté par son élan, et confiant dans la qualité habituelle de mes copies, ne se rendait pas compte qu’il manquait un maillon essentiel, et que ma démonstration n’en était pas une…
Non vraiment, ces « experts » qui n’en sont que parce qu’un micro leur est régulièrement tendu, devraient être un peu plus surveillés, et on devrait leur interdire ces formules de facilité qui masquent la vacuité de leur propos.
Je vous propose donc de ne plus accorder de crédit à une quelconque « démonstration », si elle contient une seule de ces « formules magiques ». Peut-être que la puissance collective d’un boycott partant des auditeurs pourrait arriver à faire le ménage parmi les démonstrations fallacieuses.
Je sais, je rêve… quoi que…

28 juin 2011

ON EST TELLEMENT BIEN CHEZ NOUS

Se croire invulnérable tue (2)
Grâce à sa position dominante, la profitabilité de cette entreprise est largement supérieure à la moyenne du marché. Elle est assise à la fois sur des positions industrielles clés, sur le contrôle de quelques ressources essentielles et sur un savoir-faire industriel et marketing. Bref tout va bien…
Pour récompenser tout le monde, des avantages ont été accordés, année après année, aux salariés et à la Direction. Le sentiment d’appartenance à l’entreprise s’est renforcé au fur et à mesure du cumul de ces avantages.
Un accord tacite entre Direction, syndicats et personnel amène, à l’occasion de chaque négociation, à les renforcer, quitte à externaliser davantage de fonctions pour ne pas dégrader la compétitivité de leur entreprise : il y a de moins en moins de monde à l’intérieur et ceux qui s’y trouvent sont de plus en plus en décalage avec le « monde extérieur ».
S’est ainsi développé petit à petit un confort interne croissant qui n’incite plus à la vigilance. Finalement, tout le monde, Direction comme salariés, privilégie le développement de ce confort : le corps social de l’entreprise se coupe progressivement de l’extérieur. À la limite, on manage alors pour manager, on pense qu’une réunion est bonne parce qu’elle s’est simplement bien passée, et on oublie que tout ceci n’a de sens que si la performance réelle, celle vue par les clients et l’extérieur, s’améliore effectivement.
Devenue autiste, l’entreprise a tendance à protéger jusqu’au bout les avantages acquis, éventuellement même en mettant en péril sa survie…