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30 mai 2011

IL EST IMPOSSIBLE D’OBSERVER SANS A PRIORI… RAISON DE PLUS POUR ESSAYER !

J’observe donc je suis, donc je déforme
Suite à un échange avec une amie philosophe, Paule Orsini(1), je vais revenir sur mon propos de jeudi dernier sur l’observation, et l’importance de ne pas l’aborder par des questions. Dans son commentaire(2), elle m’interpelait sur "Quelle part l'ancien occupe-t-il dans la nouveauté?" et sur la nature du "point de vue" dans la perception.
Effectivement sans ancien, sans mémoire, aucune identité n’est possible, aucune continuité, aucune responsabilité. La mémoire, et donc la poursuite de l’ancien, est le socle nécessaire à mon identité. Mais il s’agit d’un socle instable et fluctuant puisque ma mémoire se construit et se reconstruit en permanence(3). Et non seulement, mon identité repose sur un socle instable, mais aussi sur un part inconsciente à laquelle je n’aurai jamais accès et qui conditionne largement mes pensées, mes décisions et mes actions(4).
Or c’est effectivement depuis cet être instable, changeant et qui ne se connaît pas lui-même, que nous allons observer le monde, c’est lui qui va être notre point de vue. Car comme l’écrit Ludwig Wittgenstein, « ce que nous ne pouvons penser, nous ne pouvons le penser »(5), c’est-à-dire que nous ne pouvons pas observer sans passer par notre corps, nos cinq sens et le traitement effectué par notre cerveau, inconscient et conscient compris.
Donc pour faire bref, ce n’est pas gagné !
Est-ce à dire que toute observation est vouée à l’échec ?
Non, cela signifie « seulement » qu’il n’y a pas d’observation parfaite, exacte et absolue, et que toute analyse est partiale et partielle, car faite nécessairement depuis un point de vue, et un point de vue instable et changeant. La première étape est donc de prendre conscience de cette partialité, et de rechercher à se déplacer pour multiplier les points de vue, et à se confronter aux autres pour ajuster les interprétations et les compléter.
Ensuite, conscient de la part de notre inconscience, de l’instabilité et de l’impermanence de notre être, nous devons quand même tout faire pour nous en abstraire… autant que de possible en faisant le vide, c’est-à-dire en nous nettoyant de tout ce qui peut l’être. Ce ne sera jamais parfait, mais ce sera mieux que rien ! 
Le fait que l’on ne puisse pas supprimer tous ses préjugés et tous ses a priori n’interdit pas de lutter contre !

5 mai 2011

"MERCI DE NE PAS CONFONDRE LES FAITS ET LES OPINIONS"

Attention à ne pas présenter ses jugements personnels comme des évidences certaines
« Donc, vous nous présentez une rénovation de votre shampooing. Très bien, je vous écoute. »
Le jeune chef de produit commença un peu tendu son exposé, ce n’était pas tous les jours qu’il avait l’occasion de parler en direct au Président du groupe. Tradition oblige, en effet, dans cette grande entreprise, toutes les projets significatifs, rénovation de produits existants comme nouveaux lancements, étaient présentés lors de grandes messes mensuelles réunissant, société par société, du chef de produit au président, ce avec tous les échelons intermédiaires.
« Bien, je me propose de vous expliquer pourquoi il est temps d’abandonner l’ingrédient de base de ce shampooing.
- Excusez-moi, l’interrompit le Président, cet ingrédient est bien celui qui est présent depuis l’origine, c’est-à-dire en 1946.
- Oui, tout à fait.
- Très bien, continuez. »
Le chef de produit déroula alors une succession de transparents montrant la baisse de la part de marché du shampooing. Il dit alors :
« Ainsi cet ingrédient est dépassé et il est temps de relancer ce shampooing avec une nouvelle formule. Celle-ci a été développée par les laboratoires et présente une modernisation très significative par rapport à la formule actuelle.
 - Bien, mais avant de parler d’une nouvelle formule, pouvez-vous me préciser pourquoi vous dites que l’ingrédient actuel est dépassé ? »
Le silence se fit dans toute la pièce. Il n’était en effet pas courant que le Président interrompe ainsi un exposé avant qu’il ne soit terminé.
« Comme je viens de le montrer, la part de marché baisse depuis plus de cinq ans continûment. Et il est clair que l’ingrédient qui était pertinent dans les années 50, 60 et 70 plombe maintenant ce shampooing, car il évoque la lourdeur, le gras. De plus, sa présence en suspension dans la formule n’est pas moderne.
- Avez-vous une étude qui vous permette de corréler la baisse de la part de marché à la présence de cet ingrédient ? Par ailleurs qu’est-ce qui vous amène à dire qu’il est dépassé et que le caractère trouble de la formule est un problème ? »
Le silence se fit encore un peu plus pesant. Le jeune chef de produit, cette fois définitivement nerveux, reprit ces explications précédentes, en essayant de les rendre plus convaincantes.
« Donc si je comprends bien, vous n’avez pas vraiment d’études montrant que l’ingrédient est dépassé. Vous avez simplement une série de données, dont essentiellement la baisse de marché, qui vous amènent à penser que l’ingrédient est dépassé et que la formule n’est pas moderne. Bref vous en êtes convaincu, mais ce n’est pas un fait démontré.
- En quelque sorte, Monsieur. Mais je m’occupe à temps plein de ce produit depuis plus d’un an…
- A l’avenir, jeune homme, je vous demanderai d’être plus rigoureux et de ne pas confondre les faits et les opinions. Vous n’avez aucun fait prouvant que l’ingrédient doit être remplacé, c’est simplement votre opinion. Je respecte évidemment votre opinion, et il est nécessaire que vous en ayez une. Simplement, ce qui n’est pas admissible, c’est de nous présenter votre opinion comme si elle était un fait. Comme votre opinion est toute relative et que cet ingrédient constitue l’identité de ce shampooing, je ne suis pas prêt de l’abandonner sur la base d’une opinion, même de plusieurs. Ce que je veux, ce sont des faits. Donc tant que vous n’aurez pas d’études montrant de façon irréfutable que cet ingrédient est dépassé, il n’y aura pas de changement sur ce point. Dossier suivant… »
Le shampooing ne fut pas rénové… et son problème ne fut pas non plus résolu, amenant sa disparition quelques années plus tard.
Cette anecdote tirée d’un cas réel met l’accent sur la distinction entre faits et opinions. Voilà donc les faits parés d’une valeur intrinsèque, c’est-à-dire non sujets à des opinions particulières.
Certes, certes, mais est-ce suffisant ? Peut-on facilement s’appuyer sur des faits certains et incontestables ? Peut-on avoir des faits sans contexte ?
Donc à nouveau, qu’est-ce qu’un fait ?
(à suivre... lundi prochain)