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7 juin 2019

COMMENT SURVIVRE DANS L'INCERTITUDE ET CONTINUER À AVANCER ?

Le radeau des fourmis de feu
Le radeau vivant construit par les fourmis de feu une réponse efficace et originale qui présente 4 caractéristiques :
- Le radeau permet de poursuivre l’avancée
- C’est une solution collective
- Il est né par hasard
- La compréhension individuelle est impossible

2 juin 2019

TROP D'AGILITÉ ÉPUISE L'ENTREPRISE ET SES RESSOURCES INTERNES

Le premier défi face à l’incertitude est de trouver des points fixes qui orienteront durablement l’entreprise et permettront une réelle création de valeur.
Ruptures technologiques incessantes et soudaines, mondialisation des échanges et de la compétition, surgissement de concurrents nouveaux venant d’autres marchés et géographiques, risques politiques et économiques croissants, etc. 
Mille raisons qui nourrissent l’incertitude, et rendent bien aléatoire l’art de la prévision et caduques les plans à moyen terme construits il y a pourtant peu.
Alors, face à ces changements incessants, nombre de dirigeants rendent les armes et prônent l’agilité à tous crins. Leur credo devient : « Soyons capable de saisir toute nouvelle vague pour la surfer et tirer parti de ce que l’on n’a pas prévu. »
Bien, bien… 
Mais comment avancer en allant une fois à gauche, puis à droite, une fois en avant, puis en arrière ? Peut-on considérer que la stratégie relève du mouvement brownien, et ériger les mathématiques du chaos comme science de la création d’un avantage concurrentiel ? Comment concilier cela avec le temps nécessaire pour implémenter une action stratégique ? 
Car, il ne suffit pas de dire pour être compris, de mettre en place des formations pour que les équipes acquièrent immédiatement de nouvelles compétences, ou de dessiner de nouveaux organigrammes pour que les organisations se transforment : la mise en œuvre d’une stratégie prend du temps, ce d’autant plus que l’entreprise est grande et présente sur de multiples géographies et métiers.
Et ce n’est pas tout. A force de changer sans cesse, on épuise les femmes et les hommes qui composent la ressource essentielle de l’entreprise. Ils n’ont plus le temps de prendre leurs marques, et les réseaux informels qui assurent le fonctionnement réel se désagrègent. On fatigue ainsi les systèmes et les organisations. On assèche aussi ses ressources financières. 
Bref, l’entreprise s’affaiblit sous des hémorragies continues.
Il faut donc comprendre que le premier défi face à l’incertitude est d’arriver à trouver des points fixes qui apporteront des ancrages stratégiques et la stabilité indispensable à la création de valeur durable.
Si L’Oréal a réussi à devenir en une quarantaine d’années un leader mondial, c’est parce qu’elle vise un point fixe, la beauté. Pour reprendre les termes employés en interne : « Depuis un siècle, L’Oréal se consacre à un seul métier, la beauté …en répondant à l’infinie diversité des besoins et des envies de la beauté à travers le monde. »
Pour déployer cette stratégie, L’Oréal utilise l’agilité : arrêter plus rapidement ce qui ne fonctionne plus ou pas, amplifier ce qui réussit, être en éveil constant par rapport à ce qui pourrait advenir, etc. Tout cela au service d’un seul objectif : conforter et accélérer l’atteinte de son point fixe visé.
Ainsi l’agilité n’est pas première, mais seconde, c’est-à-dire au service de la stabilité de la stratégie. 
Comme un fleuve dont les méandres et la modification de son cours en cas d’excès de pluie n’ont pour objectif que de permettre l’atteinte de la mer… toujours au même endroit. 
Je n’ai jamais vu la Seine aller se jeter une fois à Dieppe, puis une autre fois en aval de Caen, sous le prétexte que la météo avait été trop incertaine…

30 mai 2018

TROP DE CHANGEMENTS NE MÈNE NULLE PART !

La vraie performance vient de la stabilité

Depuis longtemps, la mode est au changement : une entreprise performante serait une entreprise réactive, capable de se reconfigurer souvent et rapidement. Cela est devenu un des discours récurrents des livres de management et des cabinets de conseil. 
Et aujourd'hui le mot à la mode est l'agilité : une entreprise performante serait une entreprise agile. Avec l'idée que l'agilité est la capacité à se reconfigurer continûment et dynamiquement.
Peut-être... mais est-ce si vrai ?
Je note que la succession rapide de changements et le développement d'un mouvement perpétuel et constant sont dangereux, ce pour trois raisons :
  • La pénibilité du changement et l’importance des dégâts collatéraux : 
Nous avons tous besoin de repères fixes, et apprécions la stabilité : le rythme naturel des évolutions voulues à titre privé se fait sur des cycles longs, largement supérieur à la dizaine d’années. Bouleverser souvent une organisation vient heurter ceci. Par exemple, elle détruit constamment les réseaux informels relationnels qui sont essentiels à la performance d’une organisation.
Autre point noir : tout changement, même s’il est accepté et conçu comme légitime, nécessite un temps d’appropriation, temps pendant lequel rien ne fonctionne de façon optimale. On parle communément de « trouver ses marques ». Aussi changer souvent, c’est dégrader souvent la performance.
  • Le temps nécessaire à la mise en œuvre d’une stratégie : 
Il ne suffit pas de dire pour être compris, de mettre en place des formations pour que les équipes le soient, ou de dessiner de nouveaux organigrammes pour que les organisations se transforment. Dans une grande entreprise présente sur de multiples géographies et métiers, la mise en œuvre d’un changement réel devra se diffuser dans un réseau complexe et capillaire. 
Mon expérience m’a montré qu’un changement réel allait nécessiter trois à cinq ans, avant que l’entreprise soit réellement et profondément transformée, c’est-à-dire que ses clients et fournisseurs s’en rendent compte. Aussi si l’on change souvent, on croît changer, mais on ne change jamais. Pour me faire comprendre, j’aime à utiliser le métaphore de l’équipe de direction qui court sans cesse, croyant que le reste de l’entreprise suit, alors que, sans s’en rendre compte, elle tourne en rond sur un stade, le reste de l’entreprise restant immobile et les regardant repasser régulièrement au même endroit (voir  « Courir en rond sur un stade ne fait pas vraiment avancer un sujet ! »)
  • L’importance de points fixes pour construire la performance 
La mondialisation des activités et la vitesse de propagation des innovations locales viennent contredire sans cesse les plans faits la veille. Toute entreprise est aujourd’hui sujette à des tentations incessantes de diversification, voire de remise en cause profonde de son métier. Symétriquement, elle peut se sentir constamment menacée par des idées nouvelles ou des concurrents inconnus la veille. Aussi si l’on se focalise sur ce qui bouge et qui est nouveau autour de soi, on est vite emporté par ce tourbillon. 
La création de valeur, comme je l’ai développé dans mes livres "Les Mers de l’incertitude" et "Les Radeaux de feu", est au contraire dans la recherche de points fixes, de « mers » qui, les attirant durablement, permettent aux fleuves de grandir et se renforcer (voir notamment « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude »).

Il faut donc affirmer que :  
  • La performance est dans la constance et la permanence, qui, seules, peuvent permettre de construire mondialement un avantage concurrentiel durable et réel.
  • Un changement ne doit être mis en oeuvre que quand il est nécessaire, et surtout ne pas devenir un mode permanent de management.
  • L'agilité a pour but de contribuer à la stabilité, comme les méandres d'un fleuve lui permettent de s'adapter au terrain et aux aléas climatiques, sans changer de destination.

15 juin 2015

LA CULTURE EST UN CIMENT QUI ÉMERGE LENTEMENT

Grandir sans changer
La culture naît d’un compost, et c’est ce qui fera de l’assemblage hétérogène d’hommes et de femmes d’origines et d’âge différents, une collectivité : ce compost en crée un autre. C’est elle qui permettra au groupe d’acquérir des propriétés nouvelles.
A titre d’exemple, j’aime bien ce que relate Kevin Kelly dans Out of Control. Imaginez le jeu suivant : prenez un groupe de personnes et demandez-leur de se mettre en cercle. Sur votre ordre, chacun doit plier ses jambes et s’asseoir sur les genoux de son prédécesseur. Si le groupe est soudé et synchrone, si chacun a confiance dans l’autre, le groupe devient une chaise collective autoporteuse. Si un seul manque, tout s’effondre. Une sorte de radeau de feu simplissime et primaire. Ainsi que Kelly l’écrit : « Toutes les causes sont des résultats, comme tous les genoux sont des sièges. Contrairement au sens commun, toutes les existences dépendent de l’existence consensuelle de toutes les autres. »
La culture est le point de référence qui permet des émergences synchrones, ces nouvelles propriétés circulaires. Impossible de savoir qui est à l’origine du résultat obtenu, car chacun en est la cause et la conséquence, le commencement et la fin. Comme dans les vols d’étourneaux, pas besoin de contrôleur central pour avoir la puissance du groupe et la capacité à prendre des initiatives individuelles. Simplement, c’est au dirigeant de faire en sorte que cette culture existe et soit vivante.
Alors, si l’entreprise grandit et se transforme sans changer, si les matriochkas stratégiques apportent une référence stable et permanente, si ceci se transforme en une culture diffusée et partagée, les individus feront société, des performances collectives insoupçonnées et imprévues naîtront, et des mouvements autonomes, émergeront la puissance, la souplesse et la résilience. Tel un fleuve, elle captera les eaux tout autour d’elles, fera des autres ses affluents, sortira de son lit s’il le faut, fera peut-être un méandre de plus ou de moins, sera chaque jour plus forte, et toujours se jettera dans sa mer, précisément au même endroit.

10 juin 2015

COMMENT L'ORÉAL CONSTRUIT UNE STRATÉGIE RÉSILIENTE EN UNIVERS INCERTAIN

Les Matriochkas d’une stratégie résiliente
Comment L'Oréal construit une stratégie stable et se renforce, tout en menant des actions immédiates changeantes et tirant parti de l'incertitude



(Extrait de l'interview de Robert Branche, par Vincent Neymon, sur Radio Notre Dame au cours de l'émission Grand Témoin)

8 juin 2015

TOUJOURS VISER LE MÊME POINT FIXE

Se renforcer en avançant toujours dans la même direction
Qu’il pleuve ou qu’il vente, que l’on modifie ses berges ou que l’on mette en place de nouveaux pompages, tout fleuve continue son cours imperturbablement jusqu’à la mer. Indifférent, ou presque à tout ce qui l’entoure, au fur et à mesure de sa progression, il se renforce.
Comme dans la théorie des mathématiques du chaos, la mer se comporte comme un attracteur qui attire à lui l’eau qui tombe tout autour : peu importe l’incertitude en amont, tout converge vers elle. Le couple fleuve-mer est un système structurellement stable, la mer est un point fixe pour le fleuve. Telle est la logique qui régit notre monde : derrière les aléas immédiats, au-delà des méandres et des hésitations, les structures fondamentales restent inchangées.
Il en est de même pour une entreprise : pour se renforcer tout au long de sa progression, elle doit viser un point fixe, une mer, et allier stabilité et adaptation aux événements et au terrain. Elle a commencé par hasard, intuition et volonté, mais un jour se pose la question du choix : comment trouver cette mer qui sera son point fixe, et fera d’elle un fleuve, celui dont les autres seront les affluents ?
Première question : de tels points fixes existent-ils ? Oui, car les processus chaotiques qui régissent notre monde, le rendent structurellement stable : la physique est toujours faite des mêmes solides, l’énergie est toujours là, et nos écosystèmes sociaux s’articulent toujours autour de la communication, la beauté, l’alimentation ou la sexualité. Ce sont ces déterminants que les entreprises doivent viser, ce sont parmi eux qu’elles doivent choisir leur mer.
Ainsi, quand vous demandez à L’Oréal de définir sa stratégie, il répond la beauté. De même Nestlé avec la nutrition et la santé, Saint-Gobain avec l’habitat, ou Air Liquide avec la gestion des gaz. Quand Steve Jobs explique pourquoi il a choisi le marché de la musique, il dit que c’est un besoin permanent et constant : pas d’inquiétude à avoir, il sera là encore demain. Quant à Google, il ne se définit pas comme le spécialiste des moteurs de recherche sur Internet, ni même comme visant à favoriser l’usage d’Internet. Non, en 2009, son PDG, Éric Schmidt disait : « Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d’organiser l’information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l’innovation. »

3 juin 2015

DANS L'INCERTITUDE, LE DÉFI N'EST PAS L'AGILITÉ, MAIS LA STABILITÉ !

Bouger en tous sens ne conduit nulle part
L’agilité est le mot à la mode du management contemporain. Mais, dans le Neuromonde incertain et tourbillonnant, est-ce, à la moindre brise, changer de cap plus vite que les autres ? Qui peut croire que la création de valeur naîtra de tels mouvements erratiques ?
Au contraire, la performance est dans la stabilité, et la capacité à maintenir son cap : arriver à construire dans la durée, sans être désarçonné par tout ce que l’on n’a pas pu prévoir. Tel un fleuve, modifier son cours en fonction des mouvements de terrain, du volume des pluies, des barrages imprévus, mais sans changer de destination.
Aussi si toutes les entreprises sont nées par hasard, intuition ou volonté, celles qui sont devenues des leaders mondiaux durables ont pris, à un moment, le temps de trouver leur mer : elles sont les fleuves qui attirent et structurent le cours des autres.
Ainsi L’Oréal ne cesse jamais de viser la beauté, reste centrée sur les cheveux, la peau et le parfum, développe des marques mondiales dédiées toujours aux mêmes circuits de distribution, tout en en allongeant sans cesse la liste, ne renonce pas à ses principes d’action, … avec au cœur, une réactivité extraordinaire, celle de l’énergie de la vie : les actes élaborent des produits, produits qui construisent des marques, marques qui rapprochent l’entreprise chaque jour un peu plus de sa mer.
L’entreprise est structurellement stable et changeante au quotidien : le chaos des initiatives apporte la résilience globale.
Attention enfin à s’être préparé au pire et organisé sur les scénarios les plus défavorables, car, dans les tourbillons du Neuromonde, seuls les paranoïaques optimistes survivent !
(extrait des Radeaux de feu)

21 oct. 2014

4 août 2014

COMMENT L’ORÉAL EST STRUCTURELLEMENT STABLE, ET CONSTAMMENT CHANGEANTE À L’INTÉRIEUR

Les Matriochkas d’une stratégie résiliente (6) - Best of (11/2/14)
Suffit-il d’avoir une vision claire à long terme, d’avoir trouvé un point fixe que l’on visera pour toujours (comme je l’explicitais dans mon dernier article) pour qu’il devienne effectivement l’ADN de l’entreprise ?
Non bien sûr ! En rester là, serait croire que l’on peut diriger par incantation : il ne suffit pas d’affirmer une vision ou une méta-stratégie pour que, par miracle, elle devienne réalité. En rester là, c’est à coup sûr la condamner à rester lettre morte, un vœu pieux issu des pensées d’un comité stratégique : affirmer n’est pas réussir, imaginer n’est pas agir. Si on se contente de laisser cohabiter ce point fixe avec les aléas de la vie, chacun continuera à agir comme si de rien n’était, et jamais l’entreprise n’avancera vers cette mer. Elle restera à tout jamais une utopie lointaine et inaccessible.
Si les actions réalisées ne sont pas effectivement mises en cohérence avec la méta-stratégie, si rien n’est fait pour se rapprocher, ne serait-ce que de quelques mètres, de sa mer, elle restera une vision théorique et fictive : elle doit s’incarner dans le réel, car une entreprise ne se nourrit pas ni d’utopies, ni d’idéaux, mais bien de chiffre d’affaires tangible !
Pour qu’une méta-stratégie en soit une, elle doit cesser d’être « méta », et devenir stratégie, c’est-à-dire servir de guide au quotidien de l’entreprise. Ceci ne peut pas se faire d’un seul coup, car il y a trop de distance entre la stabilité immuable de la mer et le chaos des actions immédiates : il faut une succession d’étapes, une série de poupées russes emboîtées, les matriochkas d’une stratégie résiliente.
Pour être plus explicite, poursuivons l’exemple de L’Oréal. Comme indiqué précédemment, sa méta-stratégie, sa mer, est la beauté.
À partir de là, L’Oréal a créé un cadre stratégique, avec trois niveaux de traduction et d’explicitation :
1. Elle a décidé de s’intéresser non pas à la beauté en général, mais à la beauté de la femme au travers des cheveux, de la peau et du parfum. Concernant la peau, il a été considéré que seuls les produits de soin en faisaient partie, excluant tout ce qui est savon. Ceci permet de définir les familles de produits auxquelles s’intéresser : coloration, shampooing, laque, gel, cosmétique, maquillage, parfums…
2. Afin d’assurer sa résilience face aux aléas liés aux canaux de distribution, L’Oréal veut être présent dans tous les circuits : grand public (hypermarchés, supermarchés, magasins populaires, grands magasins), salons de coiffure, pharmacie, parfumerie, vente à distance…
3. Pour chaque circuit de distribution, la présence se fera au travers d’au moins une marque mondiale, celle-ci s’appuyant sur une promesse spécifique, cohérente avec le circuit de distribution où on la trouve. Ceci repose sur la conviction qu’un circuit de distribution donné correspond à un certain type de client, ou plus précisément, puisqu’un même client peut, selon les moments, aller dans l’un ou l’autre circuit, à un certain type d’attente. La volonté d’avoir des marques mondiales est associée à la vision de l’importance de la communication, de la nécessité d’amortir les coûts de conception, et enfin de la progressive globalisation de la consommation. (…)
À côté du cadre stratégique, figurent les principes d’actions, c’est-à-dire ce qui définit des éléments de culture qui le complètent, aident à choisir les actions à entreprendre, et matérialisent des convictions managériales. Dans le cas de L’Oréal, j’en vois deux essentiels qui sous-tendent « refus de l’obsolescence ». Explicitons-les.
Le déterminisme du succès peut être formulé ainsi : ce qui a réussi quelque part n’a aucune raison de ne pas réussir ailleurs. Ceci ne signifie pas qu’un produit ou une idée doivent nécessairement rencontrer le même succès en un endroit quelconque du monde, mais que les fondamentaux qui les sous-tendent, oui : au marketing et aux équipes locales, de trouver la bonne adaptation. (…)
Le deuxième point a trait au refus d’abandonner un produit une fois qu’il a été lancé et a rencontré le succès : Elnett la laque star a été lancée en 1960, Mixa Bébé en 1969… et Ambre Solaire en 1936 au moment des congés payés ! Bien sûr ces produits ont évolué et ont fait l’objet de liftings réguliers, mais ils sont toujours là. (…)
Voilà donc l’entreprise dotée d’une méta-stratégie – la beauté –, d’un cadre qui précise les familles de produits auxquelles elle s’intéresse, et affirme la volonté de disposer d’un portefeuille de marques mondiales couvrant tous les circuits de distribution, chacune spécialisée dans un circuit donné, et de deux principes d’action.
Le troisième niveau, celui des chemins stratégiques, est la mise en œuvre du cadre : quelles sont exactement les marques et les marques-ombrelle que L’Oréal veut lancer et entretenir ? Pour chacune, quels sont sa promesse, son circuit de distribution, et la famille de produits qu’elle recouvre ? (…)
On a ainsi la constitution de matriochkas stratégiques très stables à l’extérieur, et de plus en plus malléables au cœur : des marques ombrelle dans des marques qui occupent un circuit de distribution et matérialisent le cadre stratégique, tout en respectant les principes d’action.
(extrait des Radeaux de feu)

31 juil. 2014

DANS L'INCERTITUDE, LE DÉFI N'EST PAS L'AGILITÉ, MAIS LA STABILITÉ !

Les Matriochkas d’une stratégie résiliante (3) - Best of (6/2/14)

L’agilité est le mot à la mode du management contemporain. Mais, dans le Neuromonde incertain et tourbillonnant, est-ce, à la moindre brise, changer de cap plus vite que les autres ? Qui peut croire que la création de valeur naîtra de tels mouvements erratiques ?
Au contraire, la performance est dans la stabilité, et la capacité à maintenir son cap : arriver à construire dans la durée, sans être désarçonné par tout ce que l’on n’a pas pu prévoir. Tel un fleuve, modifier son cours en fonction des mouvements de terrain, du volume des pluies, des barrages imprévus, mais sans changer de destination.
Aussi si toutes les entreprises sont nées par hasard, intuition ou volonté, celles qui sont devenues des leaders mondiaux durables ont pris, à un moment, le temps de trouver leur mer : elles sont les fleuves qui attirent et structurent le cours des autres.
Ainsi L’Oréal ne cesse jamais de viser la beauté, reste centrée sur les cheveux, la peau et le parfum, développe des marques mondiales dédiées toujours aux mêmes circuits de distribution, tout en en allongeant sans cesse la liste, ne renonce pas à ses principes d’action, … avec au cœur, une réactivité extraordinaire, celle de l’énergie de la vie : les actes élaborent des produits, produits qui construisent des marques, marques qui rapprochent l’entreprise chaque jour un peu plus de sa mer.
L’entreprise est structurellement stable et changeante au quotidien : le chaos des initiatives apporte la résilience globale.
Attention enfin à s’être préparé au pire et organisé sur les scénarios les plus défavorables, car, dans les tourbillons du Neuromonde, seuls les paranoïaques optimistes survivent !
(extrait des Radeaux de feu)

11 févr. 2014

COMMENT L’ORÉAL EST STRUCTURELLEMENT STABLE, ET CONSTAMMENT CHANGEANTE À L’INTÉRIEUR

Les Matriochkas d’une stratégie résiliente (6)
Suffit-il d’avoir une vision claire à long terme, d’avoir trouvé un point fixe que l’on visera pour toujours (comme je l’explicitais dans mon dernier article) pour qu’il devienne effectivement l’ADN de l’entreprise ?
Non bien sûr ! En rester là, serait croire que l’on peut diriger par incantation : il ne suffit pas d’affirmer une vision ou une méta-stratégie pour que, par miracle, elle devienne réalité. En rester là, c’est à coup sûr la condamner à rester lettre morte, un vœu pieux issu des pensées d’un comité stratégique : affirmer n’est pas réussir, imaginer n’est pas agir. Si on se contente de laisser cohabiter ce point fixe avec les aléas de la vie, chacun continuera à agir comme si de rien n’était, et jamais l’entreprise n’avancera vers cette mer. Elle restera à tout jamais une utopie lointaine et inaccessible.
Si les actions réalisées ne sont pas effectivement mises en cohérence avec la méta-stratégie, si rien n’est fait pour se rapprocher, ne serait-ce que de quelques mètres, de sa mer, elle restera une vision théorique et fictive : elle doit s’incarner dans le réel, car une entreprise ne se nourrit pas ni d’utopies, ni d’idéaux, mais bien de chiffre d’affaires tangible !
Pour qu’une méta-stratégie en soit une, elle doit cesser d’être « méta », et devenir stratégie, c’est-à-dire servir de guide au quotidien de l’entreprise. Ceci ne peut pas se faire d’un seul coup, car il y a trop de distance entre la stabilité immuable de la mer et le chaos des actions immédiates : il faut une succession d’étapes, une série de poupées russes emboîtées, les matriochkas d’une stratégie résiliente.
Pour être plus explicite, poursuivons l’exemple de L’Oréal. Comme indiqué précédemment, sa méta-stratégie, sa mer, est la beauté.
À partir de là, L’Oréal a créé un cadre stratégique, avec trois niveaux de traduction et d’explicitation :
1. Elle a décidé de s’intéresser non pas à la beauté en général, mais à la beauté de la femme au travers des cheveux, de la peau et du parfum. Concernant la peau, il a été considéré que seuls les produits de soin en faisaient partie, excluant tout ce qui est savon. Ceci permet de définir les familles de produits auxquelles s’intéresser : coloration, shampooing, laque, gel, cosmétique, maquillage, parfums…
2. Afin d’assurer sa résilience face aux aléas liés aux canaux de distribution, L’Oréal veut être présent dans tous les circuits : grand public (hypermarchés, supermarchés, magasins populaires, grands magasins), salons de coiffure, pharmacie, parfumerie, vente à distance…
3. Pour chaque circuit de distribution, la présence se fera au travers d’au moins une marque mondiale, celle-ci s’appuyant sur une promesse spécifique, cohérente avec le circuit de distribution où on la trouve. Ceci repose sur la conviction qu’un circuit de distribution donné correspond à un certain type de client, ou plus précisément, puisqu’un même client peut, selon les moments, aller dans l’un ou l’autre circuit, à un certain type d’attente. La volonté d’avoir des marques mondiales est associée à la vision de l’importance de la communication, de la nécessité d’amortir les coûts de conception, et enfin de la progressive globalisation de la consommation. (…)
À côté du cadre stratégique, figurent les principes d’actions, c’est-à-dire ce qui définit des éléments de culture qui le complètent, aident à choisir les actions à entreprendre, et matérialisent des convictions managériales. Dans le cas de L’Oréal, j’en vois deux essentiels qui sous-tendent « refus de l’obsolescence ». Explicitons-les.
Le déterminisme du succès peut être formulé ainsi : ce qui a réussi quelque part n’a aucune raison de ne pas réussir ailleurs. Ceci ne signifie pas qu’un produit ou une idée doivent nécessairement rencontrer le même succès en un endroit quelconque du monde, mais que les fondamentaux qui les sous-tendent, oui : au marketing et aux équipes locales, de trouver la bonne adaptation. (…)
Le deuxième point a trait au refus d’abandonner un produit une fois qu’il a été lancé et a rencontré le succès : Elnett la laque star a été lancée en 1960, Mixa Bébé en 1969… et Ambre Solaire en 1936 au moment des congés payés ! Bien sûr ces produits ont évolué et ont fait l’objet de liftings réguliers, mais ils sont toujours là. (…)
Voilà donc l’entreprise dotée d’une méta-stratégie – la beauté –, d’un cadre qui précise les familles de produits auxquelles elle s’intéresse, et affirme la volonté de disposer d’un portefeuille de marques mondiales couvrant tous les circuits de distribution, chacune spécialisée dans un circuit donné, et de deux principes d’action.
Le troisième niveau, celui des chemins stratégiques, est la mise en œuvre du cadre : quelles sont exactement les marques et les marques-ombrelle que L’Oréal veut lancer et entretenir ? Pour chacune, quels sont sa promesse, son circuit de distribution, et la famille de produits qu’elle recouvre ? (…)
On a ainsi la constitution de matriochkas stratégiques très stables à l’extérieur, et de plus en plus malléables au cœur : des marques ombrelle dans des marques qui occupent un circuit de distribution et matérialisent le cadre stratégique, tout en respectant les principes d’action.
(extrait des Radeaux de feu)

6 févr. 2014

LE DÉFI FACE À L'INCERTITUDE EST LA STABILITÉ, PLUS QUE L'AGILITÉ́

Les Matriochkas d’une stratégie résiliente – Vidéo 3
Ce n'est pas en allant un coup à droite, puis à gauche, puis en avant, et enfin en arrière que l'on progresse : le défi dans l'incertitude est d'arriver à tenir un cap et d'avancer peu ou prou dans la même direction. Sans cela, l'agilité est vaine et ne construit rien.

3 févr. 2014

DANS L'INCERTITUDE, LE DÉFI N'EST PAS L'AGILITÉ, MAIS LA STABILITÉ !

Les Matriochkas d’une stratégie résiliante (3)
L’agilité est le mot à la mode du management contemporain. Mais, dans le Neuromonde incertain et tourbillonnant, est-ce, à la moindre brise, changer de cap plus vite que les autres ? Qui peut croire que la création de valeur naîtra de tels mouvements erratiques ?
Au contraire, la performance est dans la stabilité, et la capacité à maintenir son cap : arriver à construire dans la durée, sans être désarçonné par tout ce que l’on n’a pas pu prévoir. Tel un fleuve, modifier son cours en fonction des mouvements de terrain, du volume des pluies, des barrages imprévus, mais sans changer de destination.
Aussi si toutes les entreprises sont nées par hasard, intuition ou volonté, celles qui sont devenues des leaders mondiaux durables ont pris, à un moment, le temps de trouver leur mer : elles sont les fleuves qui attirent et structurent le cours des autres.
Ainsi L’Oréal ne cesse jamais de viser la beauté, reste centrée sur les cheveux, la peau et le parfum, développe des marques mondiales dédiées toujours aux mêmes circuits de distribution, tout en en allongeant sans cesse la liste, ne renonce pas à ses principes d’action, … avec au cœur, une réactivité extraordinaire, celle de l’énergie de la vie : les actes élaborent des produits, produits qui construisent des marques, marques qui rapprochent l’entreprise chaque jour un peu plus de sa mer.
L’entreprise est structurellement stable et changeante au quotidien : le chaos des initiatives apporte la résilience globale.
Attention enfin à s’être préparé au pire et organisé sur les scénarios les plus défavorables, car, dans les tourbillons du Neuromonde, seuls les paranoïaques optimistes survivent !
(extrait des Radeaux de feu)

29 mars 2012

SANS INCERTITUDE, PAS DE STABILITÉ !

Emboîtements, émergences et incertitude (4)
Étrangement, c’est l’incertitude au travers de l’entropie et du chaos qui apporte la solidité et la résilience : ce qui est ordonné est cassant et fragile, ce qui est en désordre ne l’est pas. Pensez à la fable du chêne et du roseau : le chêne rigide casse, là où le roseau flexible survit. C’est un peu la même chose.
Si le futur était prévisible, la moindre perturbation viendrait le détruire. Or de perturbations nous ne manquons pas ! Le monde dans lequel nous vivons n’est pas une mécanique de précision, c’est un système simple, robuste, bricolé. D’où l’importance de ce flou, de tous ces jeux qui existent de partout.
Une des propriétés les plus déroutantes est celle, justement appelée, des attracteurs étranges. Sans entrer dans une description théorique détaillée du chaos, sachez seulement que si le comportement des processus chaotiques est imprévisible, si l’on ne peut dire ce qui va se passer précisément à un moment et un endroit précis, si la trajectoire d’un objet soumis à une telle loi est largement inconnu, l’ensemble dessiné par ces trajectoires ou ces objets converge vers des systèmes structurellement stables.
Ainsi alors que si je modifie un tant soit peu les conditions initiales, les conséquences pour chaque élément sont immenses, rien de tel pour le système global : même si les équations qui le décrivent subissent des modifications, du moment que celles-ci restent dans des limites données, la topologie ne se modifie pas. Autrement dit, chaque élément qui compose la structure va être modifié, mais la structure elle-même restera stable. C’est une des caractéristiques de notre écosystème : il est résilient face aux perturbations, il est structurellement stable. Attention à ne pas en déduire qu’il peut faire face à toutes perturbations, car celles-ci doivent rester limitées pour que tout le système ne soit pas déstabilisé
Quand nous pensons stabilité, les premières images qui nous viennent sont souvent celles des montagnes majestueusement immobiles, ou celle des chaises reposant solidement sur leurs quatre pieds. Ces images sont trompeuses quand on parle de stabilité de notre monde, car rien n’y est immobile, tout est en mouvement, tout se déplace. La stabilité n’est donc pas du tout l’immobilité, elle est comme indiquée précédemment avec les attracteurs étranges, la capacité dynamique d’un système de rester globalement le même, ou sensiblement le même.
Avec le chaos, fini l’idée d’une stabilité immobile.
(à suivre)

10 oct. 2011

MOINS ON CHANGE, MIEUX ON SE PORTE

Savoir résister à la dernière mode pour approfondir réellement sa performance
Depuis longtemps, la mode est au changement : une entreprise performante serait une entreprise réactive, capable de se reconfigurer souvent et rapidement. Cela est devenu un des discours récurrents des livres de management et des cabinets de conseil. À tel point que bien peu s’interrogent sur la pertinence de l’idée : puisque tout le monde, et y compris les experts les plus réputés, l’affirme, à quoi bon ?
Or, je crois que c’est une des idées reçues, tirées du passé, qui est très dangereuse dans ses conséquences, surtout face au développement de l’incertitude.
Quelques mots d’abord sur l’origine du concept, et de ses justifications initiales. Le développement des grandes entreprises les avaient historiquement conduites à développer des organisations et des systèmes rigides. L’image classique était celle du super tanker, ces pétroliers géants qui sont si longs et si difficiles à manœuvrer qu’il leur faut plusieurs heures, voire plus d’une journée pour infléchir significativement leur cap, et pouvoir éviter un obstacle. Il s’agissait donc de rendre les entreprises maniables, et capables de changer rapidement de cap.
Ensuite, les théories du changement ont été construites à un moment où l’on croyait l’avenir prévisible, ou à tout le moins probabilisable, c’est-à-dire que l’on pouvait bâtir des scénarios modélisant les évolutions futures. Une fois ce futur modélisé, l’entreprise choisissait une stratégie, qu’il allait falloir mettre en œuvre. C’est à ce moment-là que se posait la question de l’implémentation, et donc du changement : comment passer de la situation A à la situation B ? Quels changements dans les organisations, les profils des hommes, les systèmes… ?
Puis est arrivé la perte des repères avec la succession des ruptures et des évolutions. Alors plutôt que de remettre en cause les approches stratégiques et la façon de se fixer un cap, on a développé une théorie de la réactivité à tout crin. À l’extrême limite, j’ai l’impression que les gurus de la réactivité rêvent d’une entreprise capable de se reconfigurer dynamiquement en fonction des évènements. Un peu comme s’ils prenaient comme modèle, les traders qui actualisent constamment la position des comptes dont ils ont la charge.
Or trop de réactivité est dangereux pour trois raisons essentielles :
  • La pénibilité du changement, et l’importance des dégâts collatéraux : la très grande majorité des hommes a besoin de repères fixes, et apprécie la stabilité. Le rythme naturel des évolutions voulues à titre privé se fait sur des cycles longs, largement supérieur à la dizaine d’années. Bouleverser souvent une organisation vient heurter ceci. Par exemple, elle détruit constamment les réseaux informels relationnels qui sont essentiels à la performance d’une organisation. Autre point noir : tout changement, même s’il est accepté et conçu comme légitime, nécessite un temps d’appropriation, temps pendant lequel rien ne fonctionne de façon optimale. On parle communément de « trouver ses marques », et donc changer souvent, c’est dégrader souvent la performance. Certains vont m’opposer que la gestion du changement, c’est précisément lutter contre cette dégradation de performance, c’est apprendre à changer. On peut certes rendre plus flexible les systèmes de production et d’information, je ne crois pas que l’on puisse rendre plus flexible les hommes : trop de flexibilité à répétition demandée aux hommes aboutit surtout à plus de ruptures, collectives comme individuelles.
  • Le temps nécessaire à la mise en œuvre d’une stratégie : il ne suffit pas de dire pour être compris, de mettre en place des formations pour que les équipes soient formées, ou de dessiner de nouveaux organigrammes pour que les organisations se transforment. Dans une grande entreprise déployée sur de multiples géographies et métiers, la mise en œuvre d’un changement réel devra se diffuser dans un réseau complexe et capillaire. Mon expérience m’a montré qu’un changement réel allait nécessiter trois à cinq ans, avant que l’entreprise soit réellement et profondément transformée, c’est-à-dire que ses clients et fournisseurs s’en rendent compte. Aussi si l’on change souvent, on croît changer, mais on ne change jamais. Pour me faire comprendre, j’aime à utiliser le métaphore de l’équipe de direction qui court sans cesse, croyant que le reste de l’entreprise suit, alors que, sans s’en rendre compte, elle tourne en rond sur un stade, le reste de l’entreprise restant immobile et les regardant repasser régulièrement au même endroit (voir « On confond agitation et performance » et « Courir en rond sur un stade ne fait pas vraiment avancer un sujet ! »)
  • L’importance de points fixes pour construire la performance : La mondialisation des activités et la vitesse de propagation des innovations locales viennent contredire sans cesse les plans faits la veille. Toute entreprise est aujourd’hui sujette à des tentations incessantes de diversification, voire de remise en cause profonde de son métier. Symétriquement, elle peut se sentir constamment menacée par des idées nouvelles ou des concurrents inconnus la veille. Aussi si l’on se focalise sur ce qui bouge et qui est nouveau autour de soi, on est vite emporté par ce tourbillon. La performance comme je l’ai longuement développé dans les Mers de l’incertitude, est au contraire dans la recherche de points fixes, de « mers qui attirent durablement le cours des fleuves » (voir notamment « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude ») C’est aussi ce que j’évoquais récemment dans « Dans l’effervescence des télécommunications, on réussit en ne se laissant pas distraire »
Je crois donc personnellement qu’il est urgent d’affirmer au contraire que :  
  • La performance est dans la constance et la permanence, qui, seules, peuvent permettre de construire mondialement un avantage concurrentiel durable et réel,
  • Le changement est un mal parfois nécessaire, mais à petite dose,
  • La réactivité conduit au zapping et à la destruction de valeur.
Par contre, l’ouverture sur le monde et la remise en cause dans la façon de faire son métier sont essentielles, mais c’est une toute autre histoire, histoire sur laquelle je reviendrai…


 

4 oct. 2011

DANS L’EFFERVESCENCE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, ON RÉUSSIT EN NE SE LAISSANT PAS DISTRAIRE

Moins on change, mieux on se porte
Depuis le début des années quatre-vingt dix, j’ai accompagné plusieurs opérateurs de télécommunications, ainsi que ponctuellement quelques autres acteurs intervenant dans le secteur des télécommunications.
Je me suis trouvé observateur privilégié de l’effervescence de ce secteur qui a été soumis à une triple instabilité :
-          Instabilité réglementaire : en 1990, les acteurs étaient en Europe, et dans la plupart des pays du monde, des entreprises publiques, voire des administrations, agissant uniquement dans leur champ géographique propre. Puis petit à petit, le jeu s’est ouvert, des organismes de régulation ont été mis en place, la concurrence s’est développée, et des acteurs internationaux sont apparus.
-          Instabilité technologique : aucun secteur, je crois, n’a été soumis à une telle succession de ruptures technologiques, amenant à chaque fois des remises en cause profonde : passage de l’analogique au numérique, émergence de la téléphonie mobile et du standard GSM, développement de l’internet, téléphonie sur internet, passage du GSM à l’UMTS, Wifi,…  Ces ruptures sont parfois venus sans être anticipées : par exemple, personne ne prévoyait fin des années 90 l’arrivée du Wifi.
-          Instabilité concurrentielle : ce double mouvement de dérégulation et de rupture technologique a été l’occasion d’une modification régulière au sein des acteurs en place. Les frontières sont mouvantes, et, sous la pression de la croissance d’internet, la limite entre informatique et télécommunications est devenue plus que poreuse. Le monde des équipementiers s’est modifié avec les déboires d’acteurs historiques comme Alcatel ou Nortel, et la succession des leaders dans la téléphonie mobile – Motorola, puis Nokia, et maintenant Apple, Samsung et HTC –. Internet a connu lui aussi des étoiles filantes comme Netscape ou AOL (1), et ses stars actuelles, Google et Facebook, n’existaient pas il y a douze ans pour l’une, et cinq ans pour l’autre.
Dans cette agitation permanente, comment les opérateurs de télécommunications ont-ils pu survivre, voire se développer ? Paradoxalement, en restant centré sur leur métier d’origine, à savoir :
  • opérer un réseau de télécommunications, c’est-à-dire des tuyaux, en garantissant la meilleure performance de la transmission, ainsi que sa fiabilité,
  • développer la relation client, commerciale et technique, au travers d’agences physiques et de services après-vente,
  • mettre en place des systèmes d’information permettant le suivi du trafic et la facturation des clients
Au fur et à mesure du développement des télécommunications, se maintenir à un niveau d’excellence dans ces trois composantes a supposé des efforts importants : les ruptures techniques et la complexité des données à transmettre, la croissance et l’évolution des exigences des clients croissantes, la sophistication des tarifications.
Chaque fois qu’un opérateur a tenté de se diversifier, il a détruit de la valeur. Les tentatives d’entrée, par exemple, dans le monde des contenus, ont été à chaque fois coûteuses.

Prochaine étape : le développement du paiement via le téléphone mobile. Je parie que,  là encore, ceux qui gagneront seront ceux qui « se contenteront » de fournir la meilleure solution technique (incluant la facturation), sans chercher à vouloir devenir une banque.
Ainsi donc, ceux qui ont le mieux réussi sont ceux qui ne se sont pas laissé distraire par l’effervescence ambiante, et sont restés focalisés sur la « mer » qu’il visait, c'est-à-dire qui ont le moins changé de stratégie, et qui se sont centrés sur l’excellence de sa mise en œuvre.
Belle illustration des propos de mon dernier livre.
Mais il est vrai que cette stabilité et cette cohérence gagnantes dans la durée, ne sont pas toujours ce qui est reconnu par la bourse…

(1) Netscape a été le premier leader de l’internet, avec l’invention du navigateur grand public, avant d’être balayé par Microsoft. AOL, grâce à son portail et sa base de clients,  a atteint une telle valorisation boursière qu’elle a pu absorber Time Warner, dans une fusion largement à son bénéfice.


 

29 juil. 2011

ON NE PEUT PAS LÂCHER PRISE SANS STABILITÉ PERSONNELLE

Le management n'est pas une profession en soi
Best of (4 novembre 2010)

Le préalable au succès dans l'incertitude est de commencer par faire le vide : être là sans a priori, observer attentivement, ne pas tout calculer et mathématiser. C'est à ces conditions que l'on pourra lâcher prise et faire confiance à son intuition : on ne pourra pas choisir la mer à l'issue d'un cheminement logique, car partir du futur est d'abord affaire d'imagination. Cette imagination se nourrit de faits et d'informations, car il ne s'agit pas de tirer sa mer à la loterie ou chez une cartomancienne. Mais ce n'est pas un raisonnement « logique » qui va permettre de passer de ces faits à la mer, ce sera un saut créatif.

Ceci suppose la stabilité du management et des actionnaires, et l'existence d'une expérience commune entre eux et avec le cœur de l'entreprise. Pourquoi ? Parce que tout dirigeant, sans qu'il s'en rende nécessairement compte, est conditionné et influencé par son inconscient : dès qu'il décide, une part majeure repose sur ce que l'on appelle son intuition, intuition qui est d'abord le travail de ses processus inconscients1. Aussi, une bonne partie de son succès en tant que dirigeant provient-il de la bonne synchronicité entre deux inconscients : le sien et celui de l'entreprise. Si son expérience personnelle est en phase avec le métier de l'entreprise, s'il sent l'entreprise car il y a grandi, ses intuitions sont exactes et il fait les bons choix. Comme il se sent en confiance, il délègue et peut lâcher prise. Si un changement se profile, si une rupture est nécessaire, il les verra venir, saura transitoirement reprendre le manche et agira en profondeur dans l'entreprise pour reprogrammer ce qui doit l'être.

Si maintenant, auréolé de ses succès passés, il change d'entreprise et se retrouve à la tête d'un ensemble qu'il ne connaît plus et dont les logiques ne sont plus les siennes, il sera trompé par son inconscient et son intuition. Si, par exemple, il passe d'une industrie de processus lourds à un domaine où la technologie et le marketing sont essentiels, comment va-t-il faire ? Comme il doit prendre décision sur décision – il est venu pour cela et il a toujours su le faire –, il ne se rendra pas compte que son inconscient qui le conditionne, le trompe. Et comme il ne comprend pas comment l'entreprise réagit, comme ce qui se passe n'est pas ce qu'il attendait, il se crispe, délègue de moins en moins, contrôle de plus en plus et se réfugie dans des tableaux de chiffres. Rien ne va plus. Voilà ce manager qui a toujours réussi qui ne comprend pas pourquoi cela ne marche plus. Il est perdu, noyé dans un double inconscient qu'il ne perçoit pas.

Plus l'incertitude se développe, plus ce risque est important et réel. Aussi, contrairement à ce qui est souvent affirmé, je ne crois pas qu'un professionnel du management puisse réussir à la tête de n'importe quelle entreprise : manager n'est pas un métier que l'on peut transposer aisément d'un lieu à un autre, c'est le fruit d'une expérience et d'une interaction dans un lieu et un moment précis.


Extrait des Mers de l'incertitude

2 mai 2011

AGIR SANS DÉTRUIRE SON PASSÉ

Savoir être fidèle à sa vision, à ses choix et ce que l’on est
Comment ne pas détruire de la valeur en changeant, comment ne pas se lancer sans cesse dans des aventures aussi coûteuses qu’inutiles(1) ? Comment ne pas s’épuiser en suivant la dernière mode ou étant ballotté par les vagues de l’incertitude ?
1.       En construisant sa stratégie en partant du futur et en visant une mer :
A cette condition, la stratégie sera un point fixe, une référence à laquelle on pourra se référer pour évaluer les opportunités qui se présentent. Car comme je l’ai déjà écrit dans mon livre, les Mers de l’incertitude, et dans plusieurs articles (2), on choisit sa mer pour la vie : « La mer n’est donc pas un objectif que l’on se fixe pour les cinq ou dix ans à venir, c’est un horizon, situé à l’infini, qui va guider et apporter du sens aujourd’hui et demain : L’Oréal vise la beauté depuis les années 70, Air Liquide s’intéresse au gaz depuis plus de cent ans, et Google n’envisage pas de se centrer sur un autre thème que l’information. »(3).
2.       En consacrant une part importante de son énergie aux produits existants :
Il est toujours tentant d’oublier les produits existants pour ne se consacrer qu’aux nouveaux produits : l’attrait de la nouveauté face à l’ennui des terrains déjà connus et défrichés. Dans ce cas, ces produits vont disparaître, plus ou moins rapidement, soit sous la pression de la concurrence, soit par cannibalisation des nouveaux produits, soit par oubli des clients… et le plus souvent par une combinaison des trois.
Si vous croyez que c’est la vie, que les anciens produits sont là pour mourir, des entreprises pensent le contraire et c’est une des clés de leur succès :
  • Chez L’Oréal, 70% de l’énergie de l’entreprise est consacrée aux produits existants et à leur rénovation constante ; si un chef de produit se plaint que son produit est cannibalisé par un lancement, on lui rappellera vite, que ce que l’on attend de lui s’est de se battre pour défendre le sien, et non pas de chercher des explications pour justifier son déclin. Il est souvent plus difficile et moins gratifiant de trouver comment relancer Elsève, Elnett, Ambre solaire, Obao ou Narta que de créer une nouvelle marque…
  • Le succès d’Apple, ces dernières années, est certes due aux nouveaux lancements, mais aussi au fait qu’ils s’additionnent et que les produits lancés avant ne s’effondrent pas (voir le graphe ci-joint). Où en serait l’entreprise si l’iPhone avait détruit l’iPod, et l’Ipad le Mac…

(1) Voir mes articles de la semaine dernière, « Détruire de la valeur en changeant » et « J’innove, donc je suis »
(2) Voir notamment mon article paru dans ParisTech Review et repris dans les Échos : « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude »
(3) Extrait des Mers de l’Incertitude