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13 juin 2018

MÊME LES MONTAGNES S’ÉCOULENT DEVANT DIEU

Impossible de voir les effets à long terme au travers d'observations immédiates
Nous avons l’habitude de distinguer les liquides des solides. Normal, puisque si je pose un liquide, il va immédiatement s’écouler et se répandre ; alors que s’il était solide, il serait resté là gentiment immobile.
Certes… mais si je prolonge mon observation du solide, il va finir par lui-aussi « couler ». En fait, la différence entre solide et liquide est une question d'échelle de temps : un liquide coule immédiatement, un solide de façon différée (il flue). 
Techniquement, ceci dépend du rapport entre le temps d'observation et un temps propre à la matière observée, dit temps de relaxation1. Ce rapport porte un nom poétique : c’est le nombre de Deborah, en référence à la prophétesse qui, dans la Bible, a dit : « Les montagnes s'écoulent devant Dieu ». 
Ce rapport caractérise donc la fluidité d’un matériau : si mon temps d'observation est très inférieur au temps de relaxation, la matière m'apparaît comme solide. S'il est très supérieur, elle m'apparaît comme liquide2. Entre les deux, elle va m'apparaître plus ou moins visqueuse ou pâteuse.
Je ne peux m'empêcher de faire le lien avec l'entreprise, le management et la prise de décision.
N'y a-t-il pas là aussi un lien entre le temps d'observation et ce que l'on observe ? 
Est-ce qu'à vouloir décider vite, on n'est pas condamné à des temps d'analyse et d'observation tellement courts, qu'ils nous trompent sur la réalité en nous masquant les effets à long terme ? 
Comment peut-on créer de la valeur dans la durée si l'on ne tient pas compte de ces effets à long terme ?
Faisons attention à cette culture du zapping et de la plus-value à court terme. 
En management, il n'y a pas besoin d'invoquer Dieu pour voir les montagnes couler, il suffit d'attendre un peu…

(1) Le temps de relaxation est le temps de retour à l'équilibre et est une propriété intrinsèque de la matière
(2) Le temps de relaxation de l'eau est de 10-12s

3 avr. 2014

NON AU ZAPPING, OUI AU CALME

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension (8)
Dans le bruit constant, il n’est ni facile, ni spontané de rester centré sur ses choix et son objectif. (…)
Je crois donc personnellement qu’il est urgent d’affirmer que :
- La performance est dans la constance et la permanence, qui, seules, peuvent permettre de construire mondialement un avantage concurrentiel durable et réel,
- La transformation est croissance, alors que le changement est destruction. Il est parfois un mal nécessaire, mais à petite dose – comme ces poisons qui autrement tuent…–, la réactivité conduisant au zapping et à la perte de valeur.
- L’urgence est une maladie collective à laquelle il faut résister, pour, au contraire, décider le plus tard possible, car toute décision est la fermeture d’options. L’anticipation est faite pour apporter de la stabilité, et non pas une remise en cause perpétuelle et contre-productive. Précédemment j’évoquais l’importance de la paresse vertueuse, celle de celui qui ne se laisse pas embarquer par le rythme artificiel du bruit ambiant. Savoir garder son tempo, ne pas confondre course avec performance. Le dirigeant n’est pas là pour précipiter les choses, mais diffuser le bon rythme, apporter de la sérénité.
(…) Le rôle d’un dirigeant n’est pas de diffuser des peurs et des inquiétudes, car elles sont déjà là. Inutile de dire que, derrière le bruit dans les feuilles, il y a des tigres, tout le monde le sait et y pense déjà.
Non, il est d’apporter de la stabilité et de la confiance. Pas une confiance aveugle et stupide, bien sûr. Non, la confiance couplée avec la confrontation : confiance en soi et en les autres, confrontation à l’intérieur de l’entreprise et avec l’extérieur. 
Calmement et fermement…


(extrait des Radeaux de feu)

10 oct. 2013

LA MONTÉE EN PUISSANCE DES TSUNAMIS ÉCONOMIQUES

Partout, tout de suite…
Business Insider a publié le 17 septembre dernier un graphe qui montre la vitesse des développements actuels (cliquer sur le graphe ci-joint pour l'agrandir).
Quelques données issues de ce graphe :
- Au bout de 4 ans, les PC ont atteint 100 millions d’utilisateurs,
- Dans le même laps de temps, l’iPod d’Apple a lui atteint environ 500 millions d’utilisateurs,
- Il n’a fallu que 3 ans à Facebook pour dépasser le milliard,
- En 18 mois, la plateforme IOS d’Apple (celle qui équipe les iPhone et les iPad) en est déjà à plus de 500 millions, et Android au milliard (1)
Impressionnante démonstration de la mondialisation et de la focalisation.
La planète vibre de plus en plus de façon synchrone, et ce qui nait là, se propage de plus en plus vite.
Nous sommes décidément bien entrés dans ce que j’appelle le Neuromonde, ce monde où, sous l’effet des connexions multiples et de la croissance de la population humaine, nous sommes tous pris dans les mailles des actions des autres.
Ces tsunamis économiques mettent en tension toutes les organisations :
- Les entreprises, car la brutalité des vagues balaient celles qui les ont manquées (2),
- Les États, car ils sont ébranlés par la puissance des monopoles qui se créent
- Les individus, car ils ne sont que fétus de paille dans ces gigantesques « radeaux de feu » (3)

(1) en 18 mois, le PC n’en était qu’à moins de 10 millions, l’iPod à 100 millions, et Facebook à 300 millions
(2) Ainsi après Nokia, Blackberry est en train de disparaître
(3) Je reprends ici la métaphore que je développe dans mon nouveau livre et que j’aurai l’occasion d’expliciter dans les jours qui viennent.

4 janv. 2013

AGIR DANS L'INCERTITUDE

Diriger en lâchant prise (BEST OF - paru les 30 et 31 octobre, 5 et 6 novembre 2012)
Vent, tigre et incertitude
Au cœur de la jungle, survient un bruit dans les feuilles. Un de nos lointains ancêtres pense que c’est un tigre et grimpe au sommet de l’arbre voisin. De là, il constate que ce n’était que l’effet du vent : il sourit de son erreur, et en est pour une belle peur… mais, s’il avait pris le bruit d’un tigre pour celui du vent, ni vous, ni moi ne serions là.
Assis à votre bureau, vous êtes entouré de bruits : le journal parle d’une reprise qui n’arrive pas, le chiffre d’affaires n’atteint pas ce qui avait été prévu, le lancement du nouveau produit a pris trois mois de retard, ce que prépare le concurrent reste inconnu… Mu par des pulsions venues de la jungle, certain qu’il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous stoppez les investissements, renforcez les contrôles et déclenchez un plan de survie.
Ah, si seulement le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, avec la liste des ingrédients et le bon mode opératoire, il serait facile d’obtenir le résultat conforme à la photographie affichée !
Pourtant, l’incertitude est-elle une si mauvaise nouvelle ? Imaginez un monde prévisible : quelle y serait la place laissée à l’intelligence, au professionnalisme et à la créativité ? Comment une entreprise pourrait-elle s’y différencier des autres, et créer de la valeur, puisque progressivement, toutes feraient progressivement la même chose ? Et à quoi bon avoir une équipe de direction quand un programme informatique suffirait…

Penser à partir du futur : chercher la mer qui attire le cours du fleuve
Depuis le pont Mirabeau, essayez donc de savoir où va la Seine. Difficile de trouver la bonne réponse non ? Aussi, descendez et suivez son cours. Rapidement puisqu’au gré de ses méandres, elle va sans cesse de droite à gauche, vous conclurez qu’elle ne sait pas où elle va.
Pourtant, quoi qu’il arrive, la Seine va bien toujours au même endroit !
Dès lors, comment faire pour voir où elle se dirige ?
Prenez plutôt le temps de comprendre qu’elle est un fleuve, ne regardez pas ce qu’elle fait, et cherchez la mer, ce futur qui l’attire.
Quand un dirigeant construit sa stratégie à partir de l’observation de ce qui s’est passé et se passe, il tombe dans la même  erreur : il veut deviner où va la Seine depuis le pont Mirabeau.
Voilà un des grands paradoxes du monde de l’incertitude : il faut réfléchir à partir du futur, et non pas à partir du présent.
Elle est donc le meilleur garant de la performance future… à condition de ne pas céder à nos peurs ancestrales, et à ne pas lutter contre elle : apprenons à agir dans l’incertitude et à diriger en lâchant prise. Certes, mais comment ?

Trois tentations à éviter
1. L’expertise : Toute expertise conduit implicitement à construire une vision du monde fondée sur le passé. Difficile avec les yeux de l’expert, de repérer ce qui est nouveau et en rupture. Il ne s’agit pas de se priver de l’expertise, mais de veiller à la mobiliser non pas a priori, mais a posteriori.
2. La mathématisation : La réponse à la montée de l’incertitude n’est pas dans la sophistication des modèles et dans la multiplication des tableurs excel. Il n’est pas non plus pertinent de croire que l’on va pouvoir appliquer des règles de trois sur les comportements humains : ce n’est pas en multipliant par deux la taille d’une équipe qu’elle ira deux fois plus vite… La complexité doit être acceptée.
3. L’anorexie : La recherche de la productivité à tout prix conduit à ajuster l’entreprise à la vision que l’on a actuellement de la situation. On la rend ainsi cassante, et incapable de faire face aux aléas. Il faut préserver une part de flou, c’est-à-dire de ressources non affectées et disponibles.

Trois modes d'action à privilégier
1. Rechercher la facilité : Nous sommes naturellement poussés à faire l’éloge de la sueur et de la difficulté. Mais parce qu’on ne peut pas lutter longtemps contre le cours des choses, et que le pire ne peut jamais être exclus, si l’on n’agit pas initialement dans la facilité, c’est-à-dire en s’appuyant sur ce que l’on sait faire, on n’ira pas au bout du marathon.
2. Ajuster la vitesse à ce que l’on fait : S’il suffisait de courir pour être efficace, comme chacun se précipite de partout, toutes les entreprises le seraient ! Ainsi que l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber, « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau ». Que faire ? Adapter son rythme à ce que l’on fait, et ne pas oublier que l’on ne peut pas penser vite à long terme.
3. Être un paranoïaque optimiste : Dans le monde de l’incertitude, il est impossible de probabiliser le futur. Ce qu’il faut, c’est identifier les scénarios les plus dangereux par leurs conséquences (1), s’y préparer, et faire tout pour qu’ils ne se produisent pas.

(1) Voir Le Cygne Noir de Nassim Taleb

6 nov. 2012

TROIS MODES D’ACTION À PRIVILÉGIER

Agir dans l’incertitude : Diriger en lâchant prise? (4)
1. Rechercher la facilité : Nous sommes naturellement poussés à faire l’éloge de la sueur et de la difficulté. Mais parce qu’on ne peut pas lutter longtemps contre le cours des choses, et que le pire ne peut jamais être exclus, si l’on n’agit pas initialement dans la facilité, c’est-à-dire en s’appuyant sur ce que l’on sait faire, on n’ira pas au bout du marathon.
2. Ajuster la vitesse à ce que l’on fait : S’il suffisait de courir pour être efficace, comme chacun se précipite de partout, toutes les entreprises le seraient ! Ainsi que l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber, « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau ». Que faire ? Adapter son rythme à ce que l’on fait, et ne pas oublier que l’on ne peut pas penser vite à long terme.
3. Être un paranoïaque optimiste : Dans le monde de l’incertitude, il est impossible de probabiliser le futur. Ce qu’il faut, c’est identifier les scénarios les plus dangereux par leurs conséquences (1), s’y préparer, et faire tout pour qu’ils ne se produisent pas.

(1) Voir Le Cygne Noir de Nassim Taleb

13 mars 2012

VIVE LA PARESSE VERTUEUSE !

Savoir prendre son temps - Le management par émergence (9)
Dernier point nécessaire à une émergence efficace : le rythme.
Pourquoi ce thème et pourquoi avoir choisi de terminer par lui ?
Précisons d’abord ce que j’entends par « rythme ». Je mets un double sens derrière ce mot : c’est la capacité, à la fois, à ajuster dynamiquement la vitesse à ce que l’on fait (1) , et à agir au bon moment.
Or si l’on n’y prête pas garde, les vagues tourbillonnantes de l’incertitude nous poussent d’une part à la précipitation, et à la confusion entre vitesse et efficacité, mouvement et concrétisation, d’autre part à l’action immédiate, au passage brutal de l’idée à la réalisation, de la pensée à l’agir.
Est-il bien utile que je revienne une fois de plus sur les dégâts de l’hystérie actuelle, et du rapport maladif entretenu avec le temps. Car, enfin, comment imaginer que l’on peut réfléchir vite à long terme ? Comment ne pas voir que, s’il suffisait de courir pour mieux réussir, toutes les entreprises seraient agiles, puisque je n’y vois plus que des gens qui courent ?
A l’inverse, je ne pousse pas non plus à la sieste généralisée, ou à différer sans cesse ce que l’on peut faire maintenant.
Non, je me fais l’apôtre de ce que j’appelle « la paresse vertueuse » ! Qu’est-ce que je veux dire par là ?
J’emploie volontairement le mot provocateur de « paresse », car je suis convaincu qu’il faut maintenant développer un esprit de résistance face à la violence des énergies en cours, à la turbulence des remous de l’incertitude et à la folie collective. C’est le pied sur le frein qu’il faut conduire, compte-tenu de la pente naturelle des systèmes et des organisations.
J’y accole immédiatement le mot de « vertueuse », pour ne faire l’apologie de l’inaction et du laisser-faire : le lâcher-prise n’est pas le laisser-faire, il est tout le contraire.
Le lâcher-prise est l’attention portée aux courants en place, à la sensation de ces moments où vouloir agir ne servirait à rien, et au contraire de ceux où l’action est démultipliée.
Le lâcher-prise est le refus de se laisser emporté par ce qui n’est qu’une agitation inefficace, qu’une dispersion d’énergies, un bruit ambiant.
Le lâcher-prise est la volonté de se poser pour réfléchir, regarder et comprendre.


Voilà donc terminé, ce tour rapide et superficiel sur ces six points qui conditionnent, selon moi, l’émergence efficace, à savoir le lien action/mer, la paranoïa optimiste, la facilité, le flou, la confrontation, et le rythme.
Pour terminer cette série sur le management par émergence, j’en viendrai demain à comment le mettre en œuvre concrètement…
(à suivre)

5 déc. 2011

NOUS VOULONS SUPPRIMER LE TEMPS, COMME NOUS AVONS SUPPRIMÉ LES DISTANCES

Tu es quand ?
Extrait des Mers de l’incertitude
J’en arrive à penser qu’après avoir comprimé l’espace, nous n’acceptons pas de ne pas réussir à comprimer le temps. Depuis deux siècles, les distances physiques ont été progressivement presque supprimées. Avec la découverte de l’énergie et du moteur à explosion, l’espace physique s’est progressivement contracté. Il n’y a pas si longtemps, quitter son village était le début de l’exil, et on mourrait à une encablure de là où on était né. Tout voyage était une aventure, changer de continent, une exception. Aujourd’hui le transport aérien, les trains à grande vitesse et les infrastructures routières ont tout bouleversé. On ne parle plus en kilomètres, mais en temps : Lyon n’est plus à 450 km de Paris, mais à deux heures. Ambivalence entre espace et temps…
Depuis vingt ans, et surtout depuis dix ans, les technologies de l’information sont venues dynamiter l’espace : les kilomètres n’existent plus et je peux parler à mon voisin numérique sans même savoir où il est. D’ailleurs, la première question posée au téléphone est maintenant : « Tu es où ? ». L’espace physique c’est comme effondré sur lui-même, comme si nous n’occupions tous plus qu’un seul point, un seul lieu. « D’où êtes-vous ? (…) Sans ici, plus de moi, voilà de quoi les grognons prennent peur : de ne plus exister, les pauvres, pour ne plus savoir où ils mettent les pieds. Comme si je devais plonger dans un espace, comme s’il appartenait à un sous-ensemble qu’il n’avait pas choisi. (…) Tu n’es que là d’où tu viens. Non, je suis qui je suis, voilà tout. (…) L’espace sans distance implique un sans espace. (…) Nous n’avons plus mal à l’espace ; D’où êtes-vous ? De n’importe où ? (…) Je navigue. Qui êtes-vous ? Je fluctue, percole et ne suis pas. Comme tous, j’habite le monde et son temps. »1.
Par contre, inutile de demander à son correspondant : « Tu es quand ? », car tout se passe en direct. Avant, sur une lettre, il fallait spécifier la date à laquelle elle avait été écrite. Aujourd’hui l’écrit voyage à la vitesse de la lumière. Non seulement, l’espace n’existe plus, mais nous sommes tous synchrones.
A cet effondrement de la distance, à cette synchronicité de la communication, répond en écho une demande de voir le temps s’accélérer : nous supportons de moins en moins d’attendre. Nous acceptons de moins en moins que ce qui est immédiatement accessible virtuellement ne le soit pas physiquement, et nous confondons agitation et mouvement réel. Régis Debray a expliqué en quoi l’accélération des échanges n’accélérait pas la transmission des savoirs : « Peut-on jouer à la fois de l’espace et du temps ? Société de transmission ou de société de communication ? (…) Le temps de formation ne peut pas être comprimé. Je peux connaître instantanément ce qui se passe à Moscou, mais je ne sais pas apprendre le russe ni comprendre à partir du point de vue russe plus vite qu’avant. Il y a de l’incompressible dont on aimerait se débarrasser. On fait des digests, on voudrait avoir des « pilules » pour apprendre le russe. (…) Poser la question « d’où viens-tu » serait déplacé. 2000, c’est l’an zéro. On zappe, on coupe tout ce qui dure. L’économie de marché est un happening. Le sport est une flamboyance sans restes une religion sans mémoire, spasme participatif, une intensité sans souvenir et sans perspective. »2
(1) Michel Serres, Hominescence
(2) Régis Debray, Conférence "Communiquer moins, transmettre plus" prononcée le 4 décembre 2000 à la Bibliothèque Nationale de France

22 sept. 2011

ENTRE-DEUX - 2

Il n’y a pas de présent… (texte écrit cet été dans un avion entre Paris et Bangkok)
A nouveau entre-deux, parti, ailleurs, perdu quelque part entre ce futur que j’ai rêvé – même si je clame que l’on ne doit pas prévoir ce qui va advenir, comment résister à l’inévitable projection ? – et ce passé rapproché, celui qui était encore mon présent, il y a si peu.
Souvenir de ce texte sur le présent impossible, sur l’absurdité de vouloir se centrer sur lui, ou même penser ce qui n’a pas d’existence, encore moins que du sable qui s’échapperait entre mes mains. Le sable, lui au moins, il a un grain que je peux tenir entre deux doigts. Quel était ce texte déjà qui parlait de cette tranche de temps, un morceau de notre passé immédiat et un autre de notre futur rapproché, cette tranche qui était notre présent, celui que nous pouvions toucher, manipuler, un pont glissant entre passé et présent ? Un texte de Bergson, je crois. Impossible de compulser mes archives, suspendu comme je suis dans les airs. Mes livres sont loin de moi, inaccessibles.
Tranche de présent donc, un bout de mon passé, un bout de mon futur, tous deux dans l’immédiat, ce que je quitte sans cesse, ce que je rattrape sans cesse. Cette tranche glisse dans les airs, elle est coupée du reste de ma vie, elle est sans attaches.
Un autre souvenir me revient, un autre texte, celui d’une nouvelle sur le temps et sa non-continuité. A nouveau impossible d’être sûr de l’auteur. Probablement Borges, mais pas certain à cent pour cent… Un chercheur a mis au point une machine à se déplacer dans le temps et veut l’essayer avec son meilleur ami. Celui-ci au début refuse, invoquant Dieu, parlant d’un crime contre l’ordre des choses. Finalement, il accepte, la machine est mise en route, et une fois le saut effectué, ils se retrouvent tous deux dans le noir absolu. Un vide absolu, plutôt, car la notion même d’absence de couleur serait abusive. Ils cherchent à comprendre ce qui s’est passé. Petit à petit, ils ont de plus en plus de mal à se déplacer. Au dernier moment, – mais la notion de moment n’a pas grand sens alors –,  juste avant de s’immobiliser complètement, le savant comprend que le temps n’est pas un continuum, et qu’ils se sont arrêtés entre deux particules du temps. S’ils ont continué à bouger, ce n’est qu’à cause d’une forme d’inertie temporelle : emportés par leur mouvement, ils ne se sont pas arrêtés immédiatement. Existent-ils ensuite ? Peut-on exister entre deux particules du temps ? Peut-on être géographiquement localisés, sans l’être temporellement ?
N’est-ce pas le même risque que je cours dans cet avion ? Suis-je encore vivant dans cet ailleurs dans les airs ? Ne suis-je pas, avec tous ceux qui m’accompagnent, tombé entre deux particules du monde ?

7 juil. 2011

COMME UN COUREUR, L’ENTREPRISE DOIT ADAPTER SON BIORYTHME À LA SITUATION

Il faut aussi savoir ralentir…
Quand je commence à courir, mon corps est froid, mon rythme cardiaque trop lent, ma respiration inadaptée. Puis, rapidement, tout se modifie et je cours efficacement. À l’inverse, pour pouvoir m’endormir, mon organisme ralentit. Ainsi, le cerveau humain a une capacité à gérer inconsciemment l’adaptation du rythme à la situation donnée : ralentissement pendant les périodes de sommeil, accélération lors des courses ou des émotions fortes.
L’entreprise est aussi un corps vivant qui a son propre biorythme qui définit la pulsation interne et la rapidité des échanges. Elle doit être capable de l’adapter à la différence des situations vécues : si elle est au repos ou si elle court, il va changer.
Par exemple, la mise en place des nouveaux opérateurs de téléphonie mobile a commencé par une première phase d’effervescence : la rapidité était l’essentiel, bien plus que la précision ou l’exactitude, car l’important était de conquérir des parts de marché pour prendre position.
A succédé une phase de consolidation où, tout en continuant à être réactif vis-à-vis de l’évolution des clients et de la concurrence, il a fallu surtout fidéliser, développer le panier moyen et contrôler les coûts internes : ceci a amené à moins privilégier la rapidité et à mettre en place des processus plus « lents » afin de mener toutes ces optimisations.
Arrive aujourd’hui une nouvelle phase avec une concurrence plus ouverte et plus large. Probablement le besoin de réactivité est de retour…

17 mai 2011

ON NE PEUT PAS COMPRENDRE DANS LA PRÉCIPITATION

Faire le vide prend du temps…
J’ai terminé mon billet d’hier sur cette question : peut-on faire le vide dans l’urgence et dans la précipitation ?
La réponse est évidemment non. En effet si l’on ne dispose pas du temps suffisant : 
  • On ne pourra pas se consacrer d’abord à l’observation brute, on cherchera tout de suite des réponses à des questions,
  • On ne se décentrera pas, car cela demande un effort et du temps… apparemment perdu
  • On mobilisera tous les experts disponibles pour comprendre le plus vite possible
Bref, pour avoir une chance de faire le vide, il faut prendre son temps : comme l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber(1), travailler sans recul « pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau. »
Dans les Mers de l’incertitude, j’ai cité l’anecdote suivante :
« Dernièrement, un journaliste vedette a déclaré à la radio : « Entre mon rôle de rédacteur en chef de mon journal et d’éditorialiste, plus toutes les émissions auxquelles je participe, c’est bien simple, je n’ai plus cinq minutes de libre pour m’arrêter ». Il disait cela comme la preuve de sa performance et de son importance. Son interlocuteur en sembla d’ailleurs impressionné. En moi-même, je pensais : « Mais quand réfléchit-il ? Comment peut-il vraiment faire son métier d’éditorialiste et de journaliste en courant tout le temps de la sorte ? ». »
Un peu plus loin, j’y écrivais : 
« La question n’est pas d’aller vite dans l’absolu, mais d’adapter la vitesse à ce que l’on veut faire, d’ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l’interaction entre la durée d’observation et l’analyse que l’on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu’il ne le sera plus au bout d’un certain d’observation. »
Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’urgences et que l’on doit toujours prendre son temps ? Non, bien sûr ! Parfois, un individu ou un groupe d’individus se trouvent face à une situation d’urgence, positive ou négative. Le temps est alors à l’action et non plus à la compréhension. On ne peut alors que mobiliser ce que l’on a appris et compris, on ne peut plus comprendre en profondeur…
Mais quand on n’est pas dans l’urgence, quand on a pris le temps de se poser pour faire le vide, une fois le vide fait, comment arriver à comprendre vraiment une situation ?
(à suivre)
(1) Le Nouvel art du temps

8 avr. 2011

VITESSE, FACILITÉ ET EFFICACITÉ

Savoir prendre son temps et en avoir sous le pied... au cas où...
Après ces quatre articles consacrés aux murs en pierres sèches, je reprends deux de mes vidéos qui correspondent à ce thème.
La première met l'accent sur la nécessité d'adapter la vitesse à la situation, la seconde explique pourquoi, pour pouvoir face à l'incertitude, la recherche préalable de la facilité est nécessaire.


5 avr. 2011

LA LOGIQUE CACHÉE DES MURS EN PIERRES SÈCHES

Avoir trop de grosses pierres est plus un problème qu’une solution
Si vous aviez à construire un mur en pierres sèches, comment procéderiez-vous ? Vous trieriez les pierres et choisiriez les plus belles, les plus grosses, les plus plates, n’est-ce pas ? C’est exactement ce que j’ai fait au début. Je passais ainsi de longues heures à la recherche de la pierre magique, celle qui allait à la perfection s’emboîter sur la précédente… et bien sûr, je ne la trouvais pas. Alors mes murs étaient bancals, instables, car les pierres ne s’ajustaient jamais parfaitement.
Ensuite, je regardais perplexe le tas de pierres que j’avais délaissées. Elles étaient là, sur le côté, comme autant d’accusatrices de ma façon de faire. Il y avait manifestement un problème : si les paysans avaient procédé ainsi, ils n’auraient jamais pu utiliser toutes les pierres qu’ils trouvaient au hasard de leurs labours. D’ailleurs, il suffisait que je me recule et regarde mon mur : il était comme une verrue dissonante dans le paysage.
Des mois et même des années ont passé avant que je ne comprenne l’origine du problème. Pourquoi autant de temps ? Parce que je construisais en dilettante mes murs, « comme un parisien », je n’étais que de passage en Provence,  entre deux avions, deux rendez-vous. Je n’étais pas réellement présent. J’endurais mon insatisfaction et la maladresse manifeste de mes murs.
Un jour, j’eus enfin la curiosité d’observer en détail comment un mur existant était construit. Il était temps… Pourquoi n’avais-je pas commencé par cela ? Parce que je m’étais dit que ce n’était pas important, que poser des pierres les unes sur les autres, ne demandait pas de compétences, de savoir-faire. Erreur. L’observation d’un mur me montra que la réalité du mode de construction n’était pas si naturelle.
En effet, à ma grande surprise, je constatais qu’il n’y avait quasiment pas de grosses pierres. L’essentiel des pierres de façade étaient des pierres de taille moyenne, voire petites. L’intérieur était garni de petites pierres. Comme cela, elles s’emboitaient les unes dans les autres, les plus petites pierres venant se loger dans les cavités restantes. De temps en temps, une grosse pierre venait réunir le tout et apporter de la cohésion à l’ensemble. Autre point important, la largeur du mur : plus le mur est large, plus il est stable… et plus on utilise de pierres, bénéfice collatéral important, quand il s’agit de, précisément, s’en débarrasser du maximum.
Le sommet du mur était lui constitué uniquement de grosses pierres, posées sur la tranche. Cette technique, outre sa valeur esthétique, avait surtout pour intérêt de contribuer à la solidité du mur. En effet, ces pierres étaient mises en compression, les unes avec les autres, par de petites pierres plates, glissées entre les grosses. Ainsi impossible d’en enlever une.
Certes, mais comment étaient-ils arrivés à obtenir que le haut du mur dessine une ligne horizontale, alors que la largeur de ces pierres terminales variait du simple au double ?
(à suivre)

4 avr. 2011

SUFFIT-IL D’EMPILER DES PIERRES POUR FAIRE UN MUR EN PIERRES SÈCHES ?

Pourquoi faire compliqué ?
Les paysages de la Provence, et singulièrement ceux de la Drôme provençale, sont rythmés par des murs en pierres sèches qui dessinent le paysage, soulignent des courbes, délimitent des espaces.
Pourquoi ces murs ? Pour le décor, pour le plaisir des yeux, pour la joie des touristes ? Pas vraiment, du moins, pas à l’origine. Plus prosaïquement, comme les paysans trouvaient des pierres à chaque fois qu’ils retournaient le sol, il fallait bien en faire quelque chose. Alors, plutôt que de les transporter, ils construisaient des murs autour des champs. Pour cela, ils empilaient les pierres, les unes sur les autres, sans liant. Parfois aussi, ces murs avaient pour but de retenir le terrain, mais, autour de Grignan, c’est rare.
Aujourd’hui, nous avons hérité de ces murs et ils contribuent à la beauté de la campagne. Malheureusement, souvent, ils tombent, poussés par un arbre dont les racines soulèvent le mur, emportés par un terrain qui glisse ou encore déstabilisés par le choc d’une voiture.
Alors il faut le remonter. Apparemment, ce n’est pas bien difficile, il suffit de poser des pierres, les unes sur les autres, non ?
C’est effectivement, ce que j’ai cru quand j’ai commencé à remonter des murs en pierres sèches. C’était il y a plus de trente ans, et j’ai donc commencé à poser des pierres. Résultat : un mur… ou plutôt un empilement de pierres. Dans le meilleur des cas, ce tas de pierres était stable, mais souvent non. Dans tous les cas, mes murs étaient comme des tâches dans le paysage : ils n’avaient rien à voir avec les anciens murs.
Que se passait-il ?
(à suivre)